Quand une civilisation tangue et vacille, que ses fondements sont remis en cause par des apprentis sorciers, il est toujours indispensable de revenir aux sources. Quoi de plus fondamental que la philosophie grecque ?
Nos plus grands intellectuels modernes le savent bien. « Le Grec est celui qui, jusqu’à présent, a mené l’homme le plus loin. » nous dit Nietzsche « Les grecs ont civilisé le monde » disait Chateaubriand. Péguy, remarquable de lucidité, remarquait que « Homère est nouveau ce matin et rien n’est peut-être aussi vieux que le journal d’aujourd’hui. » Se référer aux Anciens est toujours une manière de revenir aux fondamentaux de notre civilisation. La chasse attaquée de nos jours doit, elle aussi, faire ce travail de retour aux sources et d’affirmation de son lien indissoluble avec notre civilisation.

Xénophon, philosophe, élève de Socrate, historien et chef militaire du IVème siècle avant Jésus-Christ est surtout connu pour l’Anabase, ce récit d’une expédition militaire grecque en Asie mineure. Il a aussi écrit un traité qui s’appelle l’Art de la chasse. Certains l’ont vu comme une tentative de sauver la morale traditionnelle qui était alors attaquée par les sophistes. C’est aussi un traité technique sur la chasse. Dix chapitres sont consacrés à l’art de dresser les chiens, à la manière de les utiliser pour la chasse au lièvre, au sanglier, au cerf ou aux grands fauves comme la panthère.
L’introduction mythologique qui occupe le premier chapitre évoque d’abord les deux divinités responsables de l’invention (εὕρημα) du gibier et des chiens, Apollon et Artémis :

« Les animaux sauvages et les chiens sont l’invention de dieux, Apollon et Artémis. Ils les offrirent à Chiron et l’honorèrent pour sa justice, et lui, l’ayant reçu se réjouit du cadeau et en fit usage. »
L’Art de la chasse est un texte philosophique, non dans sa forme très différente du dialogue socratique, mais dans sa substance, car, selon Xénophon, il vise à former les jeunes à la vertu en les initiant à la chasse. Le titre du chapitre XII est éloquent : Utilité de la chasse, principalement pour la guerre. La chasse est aussi une école de vertu.

Il est intéressant de noter que chez Xénophon, le fondement de la vertu est l’enkratéia (ἐγκράτεια) ou maîtrise de soi, qu’il oppose à la soumission aux désirs (Mem. I, 5, 4). Cet attrait pour l’ascèse se retrouve six siècles plus tard chez Dion Chrysostome, philosophe du 2ème siècle après JC. Celui-ci présente la tradition de l’ascèse cynégétique des Grecs en l’opposant à la chasse perse : « Grâce à la chasse, le corps devient plus résistant, l’âme plus courageuse, l’aptitude à toutes sortes de combats se développe. Pour la chasse, il est nécessaire de monter à cheval, de courir, d’affronter les assauts de bêtes courageuses, de supporter la chaleur, de résister au froid, de souffrir de la faim et de la soif; grâce à sa passion, le chasseur devient capable de tout supporter avec plaisir. Il n’en va pas ainsi pour la chasse perse. Les Perses s’enferment chaque fois qu’ils le désirent dans leur paradis, ils abattent les bêtes comme dans une prison, sans se fatiguer, sans courir de risques, face à des animaux débiles et encagés. Et ils perdent ainsi la joie de la découverte, l’excitation de prendre les devants et du combat rapproché. »
Quelle actualité ! Ce texte pourrait tout à fait prendre place dans certains débats d’aujourd’hui et en particulier celui qui oppose partisans et opposants à la chasse en enclos. On ne peut s’empêcher de visualiser le chasseur de montagne mince, sportif, adepte de l’effort (payé ou non en retour), heureux des mètres de dénivelé et le chasseur … comment dire … moins exigeant et moins ascétique.
Un autre élément tout à fait d’actualité dans l’Art de la chasse de Xénophon est qu’il s’agit d’un ensemble de textes décriant les sophistes. En effet, la fin de l’œuvre contient une série de critiques, d’abord à l’encontre de ceux qui ont dénigré la chasse et ensuite, à partir du chapitre XIII, contre les sophistes. Ces derniers sont considérés comme les ennemis de Socrate puis de Platon, qui leur reprochent de ne pas chercher la vérité, le bien ou la justice, mais seulement leur propre gloire en défendant avec des arguments fallacieux n’importe quelle opinion (doxa en grec, qui signifie aussi : gloire). Cela ne vous rappelle-t-il pas certains de nos opposants ? Il est évident qu’un Hugo Clément s’est engouffré dans le créneau de l’écologie et de l’opposition à la chasse car cela servait son envie de notoriété et qu’il savait trouver un public docile pour l’écouter et l’admirer.
Faut-il encore démontrer l’actualité de la pensée grecque et les bienfaits de sa connaissance ? Les cités grecques ont disparu mais cette culture nous a construit et nous devons être fidèles à cet héritage.
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