Encore un exemple de la difficulté à faire cohabiter ceux qui travaillent de la terre et ceux qui ne font qu’en parler dans les médias. Dans la Manche, la maire de Lessay vient d’interdire aux tracteurs de traverser le village, ce qui a déclenché la colère des agriculteurs de la commune.
Interdire la circulation des tracteurs dans un bourg agricole
« Il n’est pas d’exemples dans l’Histoire qu’une civilisation ait résisté à la destruction de sa base paysanne. » Raymond Delatouche1
Il fallait oser, Stéphanie Maubé l’a fait. La maire de Lessay vient d’interdire aux tracteurs et autres engins agricoles de traverse le bourg. La colère des agriculteurs ne s’est pas faite attendre et ils ont immédiatement investi les rues pour s’installer devant la mairie et protester contre cette mesure prise sans aucune concertation. Certes, la commune ne compte que 1,9% d’agriculteurs mais leurs terrains sont situés tout autour du village et les axes routiers ne permettent pas ou très difficilement de passer d’une parcelle à l’autre en évitant le bourg.

La caricature de la bobo néo-rurale
Comment le maire d’une commune rurale peut-elle prendre une telle décision ? Cette incohérence peut trouver quelques explications si on s’intéresse au profil de la maire en question.
Stéphanie Maubé est est issue d’un milieu bourgeois citadin. Elle partage sa jeunesse entre la Belgique et le Chili, fait des études de cinéma, devient intermittente du spectacle. En 2011, elle décide de changer de vie et s’installe comme éleveuse de moutons dans le Cotentin. Elle ne tarde pas à se brouiller avec beaucoup de monde, dans la profession et au dehors. Elle doit quitter la charte AOC « pré salé », la chambre d’agriculture lui reprochant d’introduire des bêtes non conformes. Évidemment, les revenus de l’élevage ne sont pas suffisants et, comme beaucoup des ces artistes décidant de faire leur « retour à la terre », il faut se diversifier. Ce sera donc assez classiquement les visites à la ferme, les goûters, les légumes et tisanes bio… On se croirait dans une mauvaise série télé du service public.
Elle n’aime pas les chasseurs non plus
En 2020, elle s’oppose aux chasseurs qui gèrent le site Natura 2000 du havre de Geffosses où elle avait un des ses deux troupeaux et n’obtient pas gain de cause. Assez remonté contre eux, elle n’hésite pas à les attaquer frontalement à propos du gabion pédagogique créé par la FDC de la Manche : « Difficile de faire plus moche ni plus contradictoire avec la faune sauvage. » déclare-t-elle sur Facebook.
Nous ne doutons pas que sa décision sera invalidée et que les agriculteurs retrouverons la liberté de circuler, de travailler et donc de nous nourrir mais cet épisode montre, encore une fois l’importance de voter et de bien voter. Les beaux parleurs peuvent faire illusion un court moment mais il faut vite revenir aux fondamentaux. Raymond Delatouche, encore lui, écrivait2 : « Le paysannat est l’origine nécessaire, l’assise irremplaçable de toute société. Et voilà notre société industrielle qui mesure son expansion à la rareté de ses paysans, autrement dit à sa progression vers la mort. »
- Raymond Delatouche
Le paysan révolté : entretiens avec Raymond Delatouche, éditions Mame, coll. Trajectoires, 1993 ↩︎ - Raymond Delatouche
La chrétienté médiévale, un modèle de développement, éditions Téqui, 1989 ↩︎
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