Bientôt le 1er juin, certains chasseurs sont fébriles, l’approche au brocard d’été va débuter. Ce mode de chasse encore assez peu répandu en France commence à faire des émules mais suscite aussi des réticences, voire des critiques. C’est, à mon goût, une des plus belles chasses qui soit. L’approche au brocard doit néanmoins être pratiquée avec intelligence et doit absolument résister aux pressions mercantiles qui commencent à dénaturer cette chasse.

Le chevreuil

Lors de la saison 2022-2023, il a été tiré en France 611 355 chevreuils dont 95% en battue. C’est la deuxième année consécutive où les prélèvements sont en hausse et dépassent les 600 000 (source : bilan1 OFB – FNC).

Les prélèvements sont supérieurs à 10 000 chevreuils dans 15 départements : Bas-Rhin, Moselle, Dordogne, Landes, Haute-Marne, Cher, Loir-et-Cher, Côte-d’Or, Gironde, Loiret, Sarthe, HautRhin, Indre, Aisne et Yonne. Ces chiffres montrent l’augmentation constante du nombre de chevreuils en France. Souvenons-nous qu’on en prélevait moins de 10 000 en 1977.

L’approche

Approche en France, stalking en Angleterre, pirsch en Allemagne où il est considéré comme une chasse de roi, ce mode de chasse est la manière la plus difficile mais aussi la plus fascinante de tirer un brocard.

Henri Tegner2, un spécialiste anglais de cet animal disait : « C’est aller à sa recherche seul ou avec un compagnon, le chasser à découvert ou en forêt avec une arme appropriée, et opposer son adresse et son savoir à un adversaire tout à fait apte à se défendre lui-même. Si vous réussissez à étendre dans l’herbe au cours d’une saison deux ou trois brocards, vous pouvez vous considérer comme très fortuné. » Ces mots ont été écrits en 1953, ils gardent toute leur actualité.

Citons aussi ce passage du livre3 indispensable à tout passionné, le chevreuil de Henri Manhès d’Angeny : « En quoi consite donc ce plaisir de choix ? Connaissant parfaitement son terrain de chasse, son peuplement en chevreuils et les coutumes de ceux-ci, il d’agit de circuler dans les endroits où l’on a des chances de rencontrer des brocards bons à tirer, aux heures où ils sont sur pied et errent à travers bois et plaines. »

Ces deux auteurs ont bien résumé le plaisir de cette chasse mais aussi ses enjeux, connaissance du territoire et surtout connaissance de la population d’animaux présents. C’est un préalable indispensable à toute chasse à l’approche car celle-ci doit se faire en accord avec la gestion intelligente d’un territoire.

Il est dommage que certains critiquent cette chasse allant même la comparer à du braconnage. Il m’est arriver de lire « ce n’est pas éthique de tirer sur un animal arrêté »… Au-delà de la probable incompréhension du mot éthique, il faut s’interroger sur le fait de savoir si, tirer, au cours d’une battue, sur un animal lancé à pleine vitesse que l’on a beaucoup de chances de blesser est plus « éthique » que de le foudroyer net d’une balle bien placée à l’approche.

Gestion d’une population de chevreuils

Si vous avez la chance d’être sur un territoire à chevreuils, il est important de respecter quelques règles pour conserver cette richesse.

L’idéal est de prélever au cours de la saison, dans une population équilibrée, 1/3 de brocards 1/3 de chevrettes et 1/3 de jeunes4. Cette gestion doit être quantitative mais aussi qualitative. Là où est pratiqué la chasse à l’approche du brocard, il sera important de maintenir l’équilibre des sexes en prélevant autant de femelles au cours de la saison.

Sur ce 1/3 de mâles, un maximum de 10 % doit être prélevé à l’approche. Au-delà, vous risquez de handicaper la reproduction et de créer un déséquilibre dans la pyramide des âges qui sera nocif à l’espèce. Car ce sont presque systématiquement de beaux adultes qui sont prélevés à l’approche.

Tirer un grand brocard doit être l’exception et la récompense d’une bonne gestion. Il faut ne pas hésiter à tirer des animaux jeunes ou déficients (collisions routières, problèmes sanitaires).

Exemple ici d’un brocard blessé à l’antérieur, probablement suite à une collision routière qui a développé un trophée atypique ou tête bizarde (ou bizarre, les deux se disent).

Dans les territoires où se pratique l’approche, la battue doit elle aussi participer à la gestion de cet équilibre. Ayant encore une tendance naturelle à privilégier le tir de « gros animaux », le déséquilibre pourrait s’amplifier. Il faut donc aussi en battue ne pas hésiter à prélever jeunes et femelles sur ces territoires.

N’oublions pas que le chevreuil, s’il ne cause pas beaucoup de dégâts agricoles, peut en revanche abimer la forêt. Il faudra donc veiller à mettre en oeuvre ce fameux équilibre sylvo-cynégétique. Cet animal est assez sédentaire et son territoire vital assez peu étendu. Il sera utile de se mettre en relation avec les exploitants sylvicoles de la région pour connaître les zones de dégâts et priviliégier celles-ci pour vos approches.

Des dérives inquiétantes

La « trophéite« 

Comme nous l’avons dit plus haut, la récolte d’un beau trophée doit être la récompense d’une saine gestion. Or, certains chasseurs sont devenus des consommateurs et comme tout consommateur, ils veulent tout et tout de suite. Chasser en n’ayant en tête que la future cotation et l’éventuelle médaille d’or fait dériver la chasse vers la quête du record et fait courir le risque d’appauvrir un territoire. Rappellons-nous ces mots de Genevoix, ils nous rappellent ce que devrait rester notre passion :

« La chasse n’est rien si elle n’est d’abord poésie. Poésie de la quête, de la poursuite et de l’aventure… »

Le plus beau des trophées n’est-il pas un moment de chasse inoubliable ? Le premier brocard tiré par votre fils que vous avez initié et guidé ? Le chevreuil si méfiant qui a déjoué vos tentatives et que vous arrivez, un jour, à duper ? Ou celui qui est associé à un coucher de soleil dans un paysage superbe ? Dominique Venner le dit fort bien :

« Ils ne valent que par le souvenir qui leur est associé. »

La marchandisation

La chasse à l’approche, bien qu’encore peu pratiquée, connait un engouement certain en France. Bien évidemment, cela n’a pas échappé aux « marchands du temple » qui ont flairé la bonne aubaine. Nous voyons, depuis quelques années, fleurir les offres commerciales mettant en vente des brocards à l’approche. Les sociétés de chasse, alléchées par les revenus possibles, peuvent vendre leurs bracelets à des organismes commerciaux qui les proposent ensuite à des clients. Cela permet à certains de découvrir d’autres régions de chasse et à ces sociétés de chasse de générer des revenus qui vont financer la « taxe à l’hectare » ou la remise en état du local de l’association.

Hélas, ces points positifs sont largement contrebalancés par les méfaits du mercantilisme. Il suffit d’aller sur internet pour constater qu’un brocard à l’approche peut se monnayer jusqu’à 500 euros, voire plus s’il est « médaillable ». Sachant que les fédérations départementales les vendent entre 25 et 45 euros, le bénéfice est substantiel !

Le problème est que ces tarifs sont dissuasifs pour beaucoup de chasseurs et en particulier des jeunes qui débutent. De surcroit, ces bracelets vendus à des organismes commerciaux ne pourront pas être utilisés par les chasseurs du cru. Or, aujourd’hui, beaucoup de jeunes chasseurs semblent vouloir varier les modes de chasse, l’approche les séduit mais, si le coût est trop élevé ou si tous les bracelets sont réservés aux offres commerciales, cela risque de les détourner de notre passion car ils veulent autre chose que la traditionnelle battue du week-end. Si nous voulons que notre passion conserve son attractivité, il va falloir sérieusement réfléchir à limiter ces dérives.

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  1. Prélèvements ongulés sauvages OFB 2022-2023 ↩︎
  2. Henry Tegner était écrivain anglais, naturaliste et grand connaisseur des chevreuils. Il a été président de la Deer Society et a écrit une vingtaine de livres, principalement centrés sur la Northumbrie et sa faune. Son ouvrage le plus célèbre est Le Buck de Lordenshaw, écrit en 1953, dans lequel il raconte l’histoire d’un chevreuil de sa naissance à sa mort. C’est un auteur oublié et, malheureusement, non traduit en français. ↩︎
  3. Le chevreuil – Henri Manhès d’Angeny Bibliothèque des introuvables ↩︎
  4. Le grand gibier – Espèces, chasse, gestion – ANCGG Éditions du gerfaut ↩︎

2 commentaires sur « Brocards d’été »

  1. bonjour, n’oublions pas le guide pratique pour chasser les brocards d’été, écrit et publié par Hubert LAFUTAIE, sorti le 15.03.2023 et qui compte déjà plusieurs centaines de fans, merci.

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