On dit parfois que la braconne est à la chasse ce que l’adultère est au mariage. Force est de constater que la figure du braconnier est indissociable de celle de la chasse et que littérature, peinture, cinéma ont trouvé dans cette figure une source d’inspiration. Pourquoi cette fascination ?
Ce personnage souvent admiré, parfois craint, parfois acccusé de tous les maux a fait le bonheur des écrivains qui l’ont souvent dépeint de manière romantique comme l’amoureux de la liberté et le faible luttant contre le fort. Les peintres se sont aussi beaucoup intéressés à lui. Le braconnier agissant le plus souvent de nuit ou aux premières lueurs de l’aube donne l’occasion aux artistes de nous livrer des toiles aux couleurs pâles, étranges et souvent saisissantes comme l’illustration de couverture de cet article1. La musique s’y est peu intéressée à ma connaissance ; seul un opéra bouffe de Jacques Offenbach est intitulé – Les braconniers.
L’image romantique du braconnier
Il est souvent associé au refus des règles, des normes, à la lutte contre les abus des propriétaires qui ne respectent pas les anciennes coutumes et peut alors devenir un symbole politique. Pour certains, c’est un peu l’anarchiste des campagnes, le révolutionnaire des bosquets et des nuits sans lune. Il est aussi vu comme le gardien des traditions ancestrales et le fin connaisseur de la nature et des animaux. Ce refus des règles en fait un lointain cousin du cosaque qui se retrouve aux confins de l’empire afin de rester libre et d’échapper aux règles trop étouffantes de la société.
Il faut bien reconnaître que cette figure romancée du braconnier est sympathique, surtout dans un monde où le chasseur qui aime la liberté devient de plus en plus contraint et soumis à des règles parfois absurdes. Voir le long des routes ces lignes de « chasseurs » sur leurs miradors, uniformément habillés de ces horribles tenues oranges est désolant. Où sont la liberté et l’élégance ? Raboliot et sa veste de velours élimée est bien plus chic que n’importe lequel de ces nemrods du dimanche si pitoyablement accoutré. Chasser aujourd’hui nous oblige à passer sous les fourches caudines d’une société qui veut faire disparaître le beau et la liberté et nous ensevelit sous une avalanche de règles qui tuent le véritable esprit de la chasse.
« La chasse n’est rien, si elle n’est d’abord poésie. Poésie de la quête, de la poursuite et de l’aventure; sympathie instinctive et profonde avec la branche porteuse d’indices, l’herbe foulée, l’humus où s’imprime une empreinte; avec ce qui se cache, se glisse, se dérobe et s’évade, mais laisse flotter derrière soi un flocon, un duvet que l’épine accroche et demeure tiède au soleil vivant aux souffles passagers. » Maurice Genevoix
—> Lire aussi : Un chasseur en 2040
Un peu d’étymologie
Le sens du mot a subi une évolution radicale au cours des siècles.
Le terme est attesté dès l’ancien français, il signifie alors « veneur ou valet qui s’occupe des chiens de chasse » (c. 1178, Roman de Renart). Mais au XVIIème siècle, on assiste à un basculement sémantique complet puisque le mot prend le sens qu’on lui connaît aujourd’hui « chasseur qui chasse furtivement sur les terres d’autrui ».
Le mot vient de bracon, « (chien) braque », que l’on trouve dans l’ancien provençal bracon, lui-même issu du germanique brakkon, « chien de chasse », également à l’origine du français braque.
Voici ce qu’en dit Baudrillart en 1824, dans son dictionnaire des chasses : « Les braconniers étaient, dans l’origine, des chasseurs qui avaient le talent de dresser ces sortes de chiens, qui avaient soin d’eux, qui étaient chargés de les conduire, et qui s’en servaient pour la chasse, à la différence des autres chasseurs qui chassaient avec d’autres espèces de chiens, ou étaient occupés à quelque autre espèce de chasse. La fonction du braconnier était alors aussi honnête que celle des fauconniers, louvetiers, loutriers, perdrisseurs et autres dont il est parlé dans les coutumes et les anciennes ordonnances… »
On trouve une étude étymologique plus poussée sur le site passionnant d’Elisabeth Ridel-Granger, Paroles de paysans – Les mots des campagnes2.
Dans la littérature
La littérature a trouvé dans le braconnier une inépuisable source d’inspiration. Il est parfois vu comme un rebelle sympathique et par d’autres comme un horrible massacreur de la faune, certains en font un symbole politique de la lutte du faible contre le fort.
Le nombre de romans évoquant le braconnier est énorme, il est impossible de tous les citer mais certains sont à lire absolument. En voici une sélection totalement subjective.
Raboliot (Maurice Genevoix) : évidemment, c’est le livre à lire sur ce sujet ! Maurice Genevoix nous dépeint la société solognote du début du XXème siècle et une nature sauvage, encore peu domestiquée par l’homme. Il nous décrit de manière admirable la fusion entre cette nature et le personnage de Raboliot, homme libre, qui ne veut ni maître ni règles.
Rougé Louis, braconnier (Dominique Lambert) : encore un braconnier célèbre. Celui-ci a défrayé la chronique au milieu du XIXème siècle. Déjà plusieurs fois condamné pour braconnage, Louis Rougé est surpris par deux gendarmes. Il tire sur l’un d’eux ; le gendarme n’est que légèrement blessé… Pendant près de trois ans, Rougé sera traqué par la Maréchaussée, protégé et caché par la population, vivant dans les forêts une existence de hors-la-loi. Dominique Lambert s’attache à décrire ces évènements point par point en s’appuyant sur des documents d’archives souvent inédits, et une recherche sur le terrain ; le tout dans un style extrêmement vivant et plaisant.
Maurin des Maures (Jean Aicard) : c’est dans sa Provence natale que l’auteur nous emmène suivre les aventures d’un braconnier rustique et jovial, le fameux Maurin. Son adversaire est un gendarme et tous deux sont amoureux de la même femme, ce qui ajoute un motif à leur lutte sans merci. Ce personnage, créé par Jean Aicard, a aussi inspiré un film, une série TV et une pièce de théâtre. Jean-Claude Izzo, journaliste et romacier communiste marseillais voit en Maurin un « professeur d’insoumission ». Il est amusant de constater qu’un communiste peut s’accaparer un personnage épris de liberté et en faire un symbole de son idéologie. Quand on sait comment les régimes communistes traitent la liberté, c’est assez savoureux…
Braconniers (Tom Franklin) : Cet écrivain américain, que certains ont comparé à Faulkner du fait de son imagination et de sa force d’évocation nous emmène dans son Alabama natal. Il nous dépeint un univers dans lequel chasseurs, pêcheurs, braconniers, ouvriers et agriculteurs réagissent parfois avec violence à la lente agonie d’un monde qui abandonne ses forêts et ses cours d’eau à la pollution des usines et des centrales électriques, et les entraîne dans sa propre chute.
Le poids du papillon (Erri De Luca) : un des plus beaux textes sur la chasse que j’ai pu lire. Ce court roman nous fait vivre l’affrontement entre un vieux chamois et un braconnier approchant, lui aussi, de la fin de sa vie. C’est l’ultime face à face entre deux « géants » de la montagne, le roi vieillissant d’une harde de chamois et le braconnier aguerri qui entend parachever son tableau de chasse avec le trophée de l’animal qui lui a toujours échappé. Le récit, alterne le point de vue de l’animal et celui de l’homme et suggère entre ces deux individus une sorte de proximité, en même temps qu’un défi mutuel : l’un et l’autre sentent venir le déclin et préfèrent l’affronter plutôt que s’y dérober.
En peinture








De la gauche vers la droite et de haut en bas :
- Surpris en train de braconner par Wilhelm Simmler (1840-1914)
- Un braconnier par Bruno Liljefors (1860-1939)
- Le braconnier par Achille van Sassenbrouc (1886-1969)
- Les braconniers bretons par Alexis Mauflastre (1839-1905)
- Les braconniers dans la neige par Gustave Courbet (1819-1877)
- Les braconniers par James Arthur O’Connor (1792 – 1841)
- Le braconnier surpris par Johannes Tavenraat (1809-1881)
- Le braconnier par Frédéric Rouge (1867-1950)
Aujourd’hui
Oublions Raboliot et la poésie, le braconnier d’aujourd’hui est souvent un bandit de la pire espèce. Il fait partie de réseaux bien équipés et organisés qui mettent à sac nos campagnes en massacrant à la thermique, à partir de 4×4 des animaux dans le seul but d’en tirer de l’argent. La venaison et parfois les trophées seront chèrement revendus sous le manteau. Ce trafic lucratif s’intensifie en fin d’année à l’approche des fêtes de Noël et du nouvel an et n’est, hélas, pas assez combattu.
Il fut un temps où la lutte contre ces gangsters était une des missions principales des gardes de l’ONCFS et des gardes fédéraux. Avec la création de l’OFB, les braconniers peuvent être tranquilles, cet organisme semble avoir d’autres priorités3 comme la découverte des chauves-souris d’Afrique…
N’oublions pas que le braconnage sévit aussi dans beaucoup de pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine et met en danger certaines espèces. Ces dernières ne survivent d’ailleurs que grâce à la chasse conservation qui permet, grâce aux revenus qu’elle génère, de lutter contre les braconniers qui fournissent les chinois en poudre de cornes de rhinocéros, certains réseaux en animaux exotiques appréciés par les gens du golfe, les narcotrafiquants et certains nouveaux riches avides de sensationnel.
—> Lire aussi : Comment la chasse conservation sauve des espèces en danger
- Surpris en train de braconner par Wilhelm Simmler (1840-1914) ↩︎
- I. Avant le XVIIème siècle, s’emploie comme terme de vénerie.
Valet qui s’occupe des chiens de chasse (brachets et braques) et qui les conduit au cours de la chasse ; syn. de veneur (XIVe-XVe s., in DMF) ; au XVIe s., on chasse encore loups et cerfs avec « le maistre braconnier et les braconniers », les chevaux et les chiens (Lachiver) : c. 1392-1393 « Ly contes si amoit moult les chiens et les oysiaux, et avoit foison de braques, levriers, chiens courans et liemiers, braconniers, faulconniers, oysiaux de proye et chiens chacerez de toutes manieres », DMF [Jean d’Arras, Mélusine Jean d’Arras est un écrivain français de la fin du xive siècle].
c. 1470 « Le mistère accomply, l’on joua des orgues en l’eglise, et au pasté fut faicte une chasse telle, qu’il sembloit qu’il y eust petitz chiens glatissans et braconniers huans et sons de trompes, comme se ilz fussent en une forest », DMF [La Marche, Mém.].
Celui qui avait pour mission de faire lever le gibier (Lachiver).
II. À partir du XVIIème siècle, le terme prend une connotation péjorative.
1769 « … destructeur et voleur de gibier », Goury de Champgrand, Traité de vénerie. Dict. Chasseur qui chasse furtivement sur les terres d’autrui, celui braconne, en particulier en Sologne braconnier qui utilise des filets (Lachiver).
1834 « On comprend sous le terme de braconniers, non seulement ceux qui chassent furtivement avec un fusil, mais aussi tous les tendeurs de lacets, tonnelles, traîneaux, bricoles, rets, collets, balliers, filets, bourses, panneaux et autres engins propres à prendre le gibier », Baudrillart, Dict. des chasses., ↩︎ - Mission Lavia : à la découverte des chauves-souris d’Afrique de l’Ouest ↩︎
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