La chasse au trophée, si mal vue par certains occidentaux bien nourris et bien protégés, est pourtant jugée indispensable par les habitants et les communautés locales du Botswana. En avril 2024, Mokgweetsi Masisi, alors président du Botswana, avait fait la une des média après avoir menacé d’envoyer 30 000 éléphants en Allemagne et au Royaume-Uni1 afin que les Européens puissent comprendre ce qu’est réellement la vie des habitants confrontés à ces animaux.

Une population d’éléphants qui a triplé depuis 1980.

La population d’éléphants d’Afrique a presque été anéantie à cause du commerce de l’ivoire aux XIXème et XXéme siècles. Au Botswana, cependant, le nombre d’éléphants a plus que triplé depuis les années 1980. La fermeté du gouvernement en matière de lutte contre le braconnage et sa politique conservation ont fait du Botswana une destination de choix pour les éléphants qui s’y réfugient venant de pays moins protecteurs. Aujourd’hui, un tiers de tous les éléphants d’Afrique – environ 132 000, selon le dernier recensement – vivent au Botswana.

Le chasseur est un « méchant » un peu trop facile

La proposition du président du Botswana était une réponse à la législation proposée au Royaume-Uni et en Allemagne, qui vise à interdire l’importation de trophées de chasse et rendre illégal le fait pour leurs citoyens de participer à de telles chasses2.

En 2019, lorsque le Botswana a ré-autorisé la chasse, qui était interdite depuis 2014, des célébrités et des militants anti-chasse occidentaux se sont vivement opposés à cette mesure, certains appelant même à boycotter le pays. Il est facile de détester les chasseurs de trophées alors que les éléphants d’Afrique sont « si mignons »…. Ces opposants jouaient sur l’émotion et le sentimentalisme naïf des occidentaux qui s’émeuvent d’autant plus qu’ils sont bien à l’abri des dégâts que peut causer la faune sauvage.

« Je me méfie un peu de ces citadins qui vivent complètement en dehors de la nature, ne s’en rapprochent un peu que pendant les vacances, et l’exaltent d’autant plus facilement qu’ils sont mieux protégés contre ses coups ! » Gustave Thibon

Seuil de pauvreté faunistique.

Les opposants occidentaux ne comprennent pas les raisons qui poussent les populations locales à soutenir la chasse au trophée. Pour essayer de leur faire comprendre, le journaliste sud-africain Ed Stoddard a inventé l’expression « seuil de pauvreté faunistique » pour décrire les personnes qui vivent dans la crainte quotidienne d’être attaquées par un animal sauvage.

« Les occidentaux veulent une version Tarzan de l’Afrique ou une version Disney. La plupart des gens ne pensent pas vraiment à ce que c’est que de vivre avec des animaux sauvages ou à ce qu’il faut faire pour les conserver. » a-t-il déclaré à Foreign Policy.

Habitants tués, cultures détruites, la cohabitation est difficile

Mais au Botswana, ces herbivores font des ravages : ils détruisent des forêts séculaires, piétinent les récoltes et causent de nombreux décès. Alors que des célébrités et de puissantes ONG font campagne contre la chasse au trophée, de nombreux habitants considèrent cette activité comme indispensable à leur survie.

« Ces gens ne savent pas comment nous vivons », déclare Kutlwano Russel, une veuve de 41 ans, mère de deux enfants, qui défend les intérêts de sa communauté dans la périphérie du delta de l’Okavango, où vivent de nombreux éléphants.

Selon madame Russel, des éléphants affamés arrachent les toits des maisons dans les villages au milieu de la nuit, pillent le sorgho et le maïs et terrorisent les habitants. De nombreuses personnes ont abandonné l’agriculture à cause des raids incessants des éléphants sur leurs cultures.

Entre 2018 et 2023, plus de 60 personnes ont été tuées par des animaux sauvages au Botswana. Au cours de la dernière décennie, les blessures et les décès dus à la faune sauvage ont augmenté de 80 % dans la région du delta ; les éléphants étaient responsables d’environ 70 % des décès.

Extrait d’une vidéo montrant un éléphant attaquant un paysan dans son champ.

Certaines routes sont si dangereuses que plusieurs ONG ont lancé le système Elephant Express, des camionnettes qui transportent les élèves des villages vers les écoles. Un habitant explique qu’auparavant, certains enfants restaient à la maison plutôt que de prendre le risque de s’y rendre en marchant.

Les éléphants menacent pas que des vies, mais aussi des moyens de subsistance. Dans la ville de Shakawe, Tito Tsatsilebe travaille comme chef cuisinier et barman dans un hôtel touristique. Il préférerait être agriculteur ; il consacre ses rares moments de repos à la culture de cacahuètes et de sorgho, qu’il vend pour nourrir sa famille. Mais au début de l’année dernière, des éléphants se sont faufilés dans ses champs et ont mangé pour 7 000 dollars de récoltes.

Le Botswana indemnise les agriculteurs pour ces pertes et leur a versé près de 10 millions de dollars pour les attaques sur les cultures entre 2018 et 2023. Mais ce n’est pas toujours suffisant : Tsatsilebe n’a reçu qu’environ 220 dollars, dit-il, ce qui l’a empêché d’acheter de nouveaux vêtements ou d’inviter ses enfants au restaurant cette année. 

« Ces gens se soucient plus des éléphants que de nos vies. »

Certaines ONG occidentales financent des programmes qui essaient d’atténuer ces conflits entre les hommes et la faune mais cette approche est mal perçue par les locaux qui considèrent que, pour ces ONG, leurs vies ont moins de valeur que celle des éléphants. Comme le dit Mbaiwa, de l’Okavango Research Institute, « ces gens se soucient plus de la faune que de nos cultures et plus des éléphants que de nos vies ».

Des habitants du Botswana qui s’insurgent contre les célébrités (ici Ozzy Osborne) et les donneurs de leçons occidentaux.

Paternalisme et néo-colonialisme

Dans l’espoir de faire comprendre leur situation, une délégation botswanaise de fonctionnaires, d’experts et de défenseurs de la chasse s’est rendue à Londres en mars dernier pour faire pression contre le projet de loi britannique. Ils se sont adressés à la Chambre des communes, où, selon Debbie Peake, une taxidermiste qui s’est jointe à la délégation, aucun des partisans de l’interdiction ne les a pris au sérieux. « C’était offensant », a-t-elle déclaré. Selon elle, ce débat improductif a donné l’impression que les britanniques ne prenaient pas les africains au sérieux, alors que le Botswana est largement considéré comme un exemple de réussite en matière de conservation. Pour elle, de nombreux politiques britanniques ont adopté la position suivante : « Peu importe que vous chassiez de manière durable et que les quotas soient respectés. Nous n’aimons tout simplement pas que des gens tuent ces animaux. »

La chasse est la garantie de la conservation

Les opposants à la chasse au trophée invoquent souvent des raisons éthiques ou environnementales. Liam Slattery, directeur de campagne de Humane World for Animals qui s’oppose à la chasse au trophée, a qualifié cette pratique de « réduction d’animaux sensibles à l’état de marchandises, les dépouillant de leur valeur intrinsèque et de leurs rôles écologiques essentiels ».

La chasse au trophée peut être un moyen efficace de soutenir les communautés qui vivent au milieu des animaux sauvages. « Nous voulons que ces communautés participent à la conservation de la faune », a déclaré Joseph Mbaiwa, directeur de l’Institut de recherche sur l’Okavango à l’université du Botswana. Grâce à la chasse au trophée, ils peuvent « bénéficier directement des ressources fauniques de leur région ».

De nombreux partisans de la chasse au trophée sont d’accord avec l’objectif plus large de la conservation, mais considèrent la marchandisation des éléphants comme une bonne chose. Ils affirment que faire de la faune un atout, en particulier lorsque les possibilités économiques sont limitées, est un meilleur moyen de protéger l’espèce. En d’autres termes, si le maintien d’une population stable d’éléphants est source de profit, les communautés investiront dans leur maintien. En l’absence de mesures incitatives, les populations trouveront d’autres utilisations pour leurs terres et traiteront les éléphants comme des parasites à exterminer, renonçant ainsi à la conservation des animaux et des habitats.

Le contre-exemple du Kenya

C’est exactement ce qui s’est passé au Kenya, qui était autrefois une destination de chasse. Après l’interdiction de cette pratique par le gouvernement en 1977, les gens ont commencé à utiliser leurs terres pour l’agriculture et l’élevage. Les animaux ont été déplacés car leurs habitats naturels ont été labourés ou consacrés à l’élevage. En 2016, les populations d’animaux sauvages avaient chuté de 70 % par rapport aux chiffres d’avant l’interdiction. Les défenseurs de la chasse au trophée craignent qu’un sort similaire n’attende les éléphants du Botswana si la chasse réglementée disparaît.

Une étude de l’université d’Oxford met à mal les arguments des anti-chasse

Une analyse récente, menée par l’Université d’Oxford, a montré que le projet de loi britannique pourrait finalement « causer plus de mal que de bien aux espèces qu’il était censé protéger »

Le mode de vie traditionnel des chasseurs-cueilleurs du Botswana ayant été détruit au fil du temps, la chasse au trophée est une opportunité économique. Dan Challender, auteur principal de l’analyse d’Oxford, a écrit que le projet de loi britannique sur la chasse au trophée pourrait « avoir un impact sévère, voire dévastateur, sur les communautés rurales marginalisées et les peuples indigènes »

Brian Child, écologiste et professeur à l’université de Floride, considère que l’objectif premier de la conservation est de concurrencer l’élevage et l’agriculture. « Je ne suis pas pour la chasse ou le tourisme. Je suis pour l’utilisation payante des terres, quelle qu’elle soit », a-t-il déclaré. Les partenariats entre la communauté et le secteur privé, tels que la chasse au trophée sont efficaces, dit-il et permettent souvent de conserver les terres à un coût par hectare bien inférieur à celui des ONG (qui ont des frais administratifs et de collecte de fonds associés).

Une communauté locale qui se lance dans la chasse aux trophées.

La communauté de Kutlwano Russel s’est lancée dans la chasse au trophée il y a plus de 20 ans. Comme plusieurs autres au Botswana, cette fiducie communautaire – une entité juridique créée pour gérer les ressources naturelles – se voit attribuer par le gouvernement national un quota annuel de licences de chasse à l’éléphant et à d’autres animaux. Les permis sont vendus à une société de chasse, ce qui génère des revenus permettant de financer les familles locales, les pensions des orphelins et des résidents plus âgés, ainsi que des bourses d’études. 

Un chasseur étranger peut payer jusqu’à 80 000 dollars pour les permis et la main-d’œuvre nécessaire à la chasse d’un seul éléphant. Il ramène chez lui les défenses, la peau et les pieds ; le reste va aux habitants, une aubaine dans un endroit où la nourriture peut être difficile à trouver. 

Kutlwano Russel se désole de la réaction internationale lorsque le Botswana a rétabli la chasse en 2019. « Nous avons eu le cœur brisé lorsque nous avons vu cela sur les réseaux sociaux, a-t-elle déclaré. Nous nous sommes dit, mon Dieu, pouvez-vous simplement faire venir quelqu’un qui puisse être notre voix et voir comment nous souffrons quand il n’y a pas de chasse ?« 

Des revenus indispensables

Lorsque le Botswana a interdit la chasse au trophée, l’impact économique dans les zones rurales a été énorme, réduisant à néant une industrie qui employait des centaines de personnes et générait près de 20 millions de dollars par an

Pendant l’interdiction de la chasse, un village comme celui de Mababe a vu ses revenus touristiques chuter de 250 000 dollars à 35 000 dollars. Les salaires, les pensions et les bourses d’études ont été supprimés ; des emplois ont été perdus. « Nous avons vraiment souffert », a déclaré madame Russel.

La chasse apporte une lueur d’espoir aux villageois de Magabe

Aujourd’hui, la chasse à l’éléphant n’est pratiquée à Mababe que six mois par an. « Lorsque la saison de la chasse commence, les éléphants s’éloignent. Lorsqu’elle s’arrête, nous devons recommençons à vivre avec eux », explique un habitant. 

Il est difficile de s’en sortir à Mababe. Mais la chasse au trophée a apporté une lueur d’espoir au village et Kutlwano Russel l’a saisie. Enfant, elle passait quatre mois d’affilée en internat, où elle apprenait l’anglais, ce qui l’a aidée à trouver de bons emplois dans les ranchs de chasse locaux. Au fil du temps, elle a appris à traiter avec les touristes occidentaux et à gérer une entreprise. 

Grâce en partie à la chasse, Mababe s’est développé au cours des dernières décennies. Il y a maintenant une école en ville, de sorte que les enfants n’ont pas besoin d’aller à l’internat pour recevoir une éducation. En 2016, dernière année pour laquelle des données sont disponibles, le revenu mensuel moyen d’un ménage dans les zones rurales du Botswana était d’environ 300 dollars. Selon le rapport annuel 2024 du community trust, celui-ci a distribué 220 dollars de dividendes annuels à chaque ménage de Mababe, 50 dollars mensuels à tous les résidents âgés de 60 ans et plus, et 7 360 dollars collectivement en bourses d’études pour des programmes d’enseignement supérieur et de formation professionnelle. 

Fifi Obiditswe, 29 ans et mère de deux enfants, a utilisé l’une de ces bourses pour suivre une formation en hôtellerie et en gestion de l’hébergement. Elle est maintenant employée dans un hôtel. « Je n’ai aucun problème. Je n’ai aucun souci à me faire, je suis fière. La chasse est bonne en ce moment. Pendant ces six mois, nos enfants reçoivent de la nourriture. », dit-elle.


  1. Le Botswana menace d’offrir 20 000 éléphants à l’Allemagne pour illustrer la difficulté de cohabiter avec le pachyderme ↩︎
  2. The return of the UK’s ill-conceived bill to ban hunting trophy imports ↩︎

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