Lors des fêtes de Norouz1 qui, marquent le retour du printemps, le Kazakhstan célèbre la chasse à l’aigle considérée comme le sport national et le symbole de l’identité kazakhe.

A cette occasion le Kazakhstan met à l’honneur les traditions nationales dont la chasse à l’aigle qui occupe une place importante dans la vie des kazakhs, ces descendants des cavaliers nomades qui ont sillonné les steppes d’Asie centrale. On appelle les chasseurs à l’aigle les « kusbergi » ou « berkutch » dans la langue kazakhe (du terme berkout qui désigne l’aigle royal).

La période de la chasse à l’aigle porte un nom en kazakh, c’est le kansonar ; elle débute en septembre avec les premières neiges. Avant 1917 et la dictature communiste, la chasse à l’aigle était pratiquée par les baï ou manap, les aristocrates. Elle revit aujourd’hui grâce aux aksakals (barbes blanches, c’est ainsi que l’on désigne les anciens) qui ont réussi à maintenir cet art de la steppe nomade malgré la terreur communiste.

C’est aujourd’hui une tradition soigneusement préservée et de nombreux chasseurs la font vivre avec passion. Lors de la période communiste, les soviétiques avaient forcé les kazakhs à abandonner leur mode de vie traditionnel et les avaient contraint à abandonner le nomadisme pastoral et à se fixer dans des villages. Avec l’indépendance en 1991, ceux-ci ont voulu redonner vie à leur identité et à leurs mode de vie ancestral.

Les aigles peuvent vivre jusqu’à 50 ans et sont en général relâchés après avoir atteint l’âge de 30 ans. La chasse à l’aigle royal est une activité coûteuse car un bon oiseau peut coûter plusieurs milliers de dollars, en fonction de son âge, de sa taille et de son sexe. Les femelles sont plus recherchées et donc plus chères, car elles sont plus grandes que les mâles et plus agressives.

Les chasseurs s’affrontent lors de tournois qui font revivre l’âme d’un peuple

Les kazakhs organisent des tournois de chasse à l’aigle qui sont l’occasion de rassemblements festifs au cours desquels, les traditions et l’histoire du peuple sont mis en valeur. Le point culminant de la saison, le championnat du Kazakhstan, a lieu en février.

Les chasseurs commencent à entraîner les oiseaux très jeunes de manière à créer un lien fort avec l’homme. Puis, juste avant l’arrivée de l’hiver, l’entraînement devient plus intensif pour aider l’oiseau à de débarrasser des kilos superflus et à développer son endurance. L’oiseau doit voler quotidiennement pour arriver en pleine forme au moment des compétitions.

Lors des tournois, les juges notent les chasseurs et leurs aigles en fonction de différents critères. La première épreuve du concours permet d’évaluer la réactivité des oiseaux aux ordres du chasseur. Placé au sommet d’une colline voisine, un assistant libère l’oiseau. Le défi de l’oiseau est d’identifier l’appel de son maître à distance et de revenir rapidement vers lui.

L’épreuve suivante évalue les aptitudes à la chasse de l’aigle, en particulier sa capacité à attraper une proie. Un leurre en fourrure est attaché à une corde et balancé pour imiter une proie. L’aigle doit plonger, capturer la proie et revenir vers le chasseur. S’il réussit cette tâche, il accède à la finale du tournoi.

La dernière étape consiste à évaluer le couple homme-aigle. Le gagnant doit répondre à plusieurs critères. Tout d’abord, les jugent évaluent la vitesse, la beauté et le comportement de l’oiseau pendant la chasse mais on juge aussi le chasseur et sa tenue qui doit être la plus fidèle aux tenues traditionnelles des cavaliers nomades.

Au Kazakhstan, on associe souvent l’aigle avec un chien. Celui-ci devra lever le gibier et l’aigle est alors lancé sur la proie.

Une terre, un peuple et des traditions ravagés par le communisme.

L’arrivée du communisme dans ces zones d’Asie centrale s’est accompagnée de massacres, de famines, de déportation et de politiques économiques aberrantes. On considère que les deux famines, de 1919 et de 1931, dues aux réquisitions, à la collectivisation forcée des terres et des troupeaux et à la sédentarisation des tribus ont coûté la vie à près de deux millions de kazakhs, soit plus de 38% de la population.

Le calvaire des kazakhs ne s’arrêta pas là. Les dirigeants soviétiques ont fait de l’Asie centrale un laboratoire de l’horreur humaine et écologique. L’assèchement de la mer d’Aral pour irriguer les champs de coton en est un exemple frappant. Cette immense mer intérieur a vu sa surface réduite de plus des trois quart et cette catastrophe a donné naissance à un désert salé de la surface de la Suisse. C’est aussi sur lune des îles de cette mer intérieure que les soviétiques avaient installé un laboratoire d’expérimentation d’armes biologiques. On y a repéré des virus d’anthrax provenant de conteneurs laissés sur place.

La mer d’Aral au fil des ans.

C’est aussi en Asie centrale que soviétiques et chinois ont décidé de faire leurs essais nucléaires. De 1949 à 1989, l’URSS a procédé à 467 explosions sans tenir compte que plus d’un million de personnes habitaient dans un rayon de 500 km autour du pas de tir. Du côté chinois, c’est le Xinjiang qui a été utilisé pour les essais. Les radiations emportées par les vents ont contaminé plus de 5 millions de personnes. On ne compte plus les enfants naissants avec des handicaps physiques ou mentaux et les cancers font des ravages. De surcroit, lors de la dislocation de l’URSS, les déchets nucléaires ont été laissés sur place.

Les soviétiques ont aussi inondé ces régions d’engrais minéraux, de pesticides et de défoliants, principalement pour la culture du coton. Le résultat est que de nombreux enfants difformes naissent dans la zone et que l’empoisonnement des nappes phréatiques par ces produits a fait passer la mortalité infantile de 20% à 110% de 1970 à 1990.

Steppes de Dieu, que vous êtes donc belles !

Néanmoins, l’Asie centrale est une région du monde où la beauté de la nature émerveille le voyageur à chaque détour de la piste. La steppe et les montagnes offrent des panoramas à couper le souffle. Il reste à souhaiter que le tourisme de masse épargne ces terres et que seuls des voyageurs dignes de ce nom s’y rendent.

« La charrue n’avait encore jamais touché à ces espaces immenses; seuls les chevaux, qui s’y perdaient comme dans une foret vierge, les foulaient de leurs sabots. Rien dans la nature ne saurait être plus beau: c’était un océan de verdure couvert de millions de fleurs. […] Des perdrix, le cou tendu, se faufilaient parmi les tiges. L’air était rempli de mille sifflements d’oiseaux. L’épervier, les ailes étendues, planant immobile dans le ciel, fouaillant des yeux la plaine. Les cris d’une nuée d’oies sauvages étaient renvoyés par quelque lac lointain. Une mouette des steppes se levait parfois à coups d’ailes mesurés, se baignait mollement dans l’azur, puis s’éloignait, n’apparaissant plus que comme un point noir à l’horizon pour se retourner une dernière fois dans un éclair de blancheur… Steppes de Dieu, que vous êtes donc belles ! »
Nicolas Gogol, Tarass Boulba (1835)


  1. Norouz marque le nouvel an persan qui correspond au premier jour du printemps. C’est une ancienne fête d’origine zoroastrienne encore célébrée dans tout le monde persan de l’Iran jusqu’en Asie centrale. ↩︎

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