Chroniques cynégétiques a eu le plaisir d’interviewer Jean-Marc Delcasso, le président de la FDC des Hautes-Pyrénées. Nous avons pu aborder de nombreux sujets, dont certains dossiers sensibles.

Président, depuis combien de temps êtes-vous à la tête de la FDC des Hautes-Pyrénées ?

Oh, cela fait vingt et un ans ! Lorsque j’ai été élu la première fois, j’étais le plus jeune président de France avec Thierry Cabanes. En 2004 lorsqu’on est arrivé, nous étions des jeunots. Puis en 2007, je suis au CNCFS et à la FNC. 

Vous êtes le président d’une fédération de montagne, donc directement concerné par ce qui a été récemment proposé au CNCFS, c’est à dire l’ouverture du cerf au 1er juin. Vous vous y êtes opposé, est-ce que vous pouvez nous dire pourquoi ? 

J’y suis opposé pour un tas de raisons, je suis de formation scientifique puisque je suis vétérinaire. On est en pleine chasse bashing actuellement, on est critiqué de partout, quelle image va-t-on donner ?  Et c’est soi-disant pour réaliser des plans de chasse !

On va tirer début juillet sur des cerfs en velours et sur des biches en fin de gestation et au début des mises bas, Quand des biches mettent bas dans les fougères, le chasseur verra la biche mais pas le faon qui est derrière. Cela va faire des orphelins. De plus, on est en pleine saison touristique et tout spécialement en montagne, il y aura donc beaucoup de monde dans la nature à ce moment là.

Moi, je ne peux pas accepter cela. Quand on connaît la biologie, la physiologie de cette sous-famille de cervidés, on ne peut pas le comparer au tir d’été du chevreuil ; ce sont deux physiologies totalement différentes. Au mois de juin ce sont des tirs de récolte, on tire des brocards qui on perdu leurs velours, qui ont refait leurs bois et on tire uniquement des mâles.

Alors, le seul intérêt qu’on peut voir dans cette ouverture au mois de juin, c’est le cerf qui pose un problème. Cela peut arriver, un cerf qui  pose un problème dans une plantation, dans des vergers de pommiers comme chez nous ou dans les maïs. Cela permettrait d’être réactif, un coup de téléphone au président, il prend un bracelet, on ne passe pas par les services de l’État, pas besoin des lieutenants de louvéterie. C’est le seul intérêt que je vois dans cette ouverture au premier juin. Mais est-ce que pour cela il faut donner cette mauvaise image de la chasse ? J’aimerais qu’il y ait une étude sérieuse qui me dise combien les fédérations pensent prélever de cerfs  du 1er au 1er septembre.

Et d’autant plus que rien n’est dit sur le mode de chasse et sur les types d’animaux qui vont être tirés. 

Rien de rien, en effet. Parce que si on veut vraiment être dans l’éthique de chasse et dans la biologie de l’espèce, que peut-on tirer au mois de juin ? La bichette, qui est le petit de l’année d’avant, qui a un an, un an et demi, qui n’est pas gestante ou le daguet. La chasse au 1er juin, ça doit se limiter à ces deux types d’animaux, si on veut être crédible. Les chasseurs sauront reconnaitre le daguet, par contre, la bichette, ce sera plus compliqué parce que sa sœur de l’année d’avant ne sera guère plus grande mais celle-ci sera suitée ou gestante.

Cette proposition de l’ouverture au 1er juin, elle est dans les canaux depuis un certain temps mais je ne vois pas ce que ça va amener à la chasse. 

Certains disent que ça permettrait de réaliser des plan de chasse qui sont rendus difficiles à cause de l’enneigement. 

Non, ça c’est un faux problème, l’enneigement aujourd’hui, il y en a de moins en moins, il faut arrêter. Le problème qui fait que les plans de chasse ne sont pas réalisés, c’est tous ces chasseurs qui ne pensent qu’à chasser le sanglier. On l’a vu, chez nous cette année. Fin janvier, on n’était pas à 42% de réalisation du plan de chasse cerf et en février, on est monté à 80%. Les gars attendent la fin pour faire les plans de chasse cervidés. Aujourd’hui, ils sont obnubilés par cette chasse au sanglier, il n’y a que ça qui compte pour certains. Alors, ils n’ont qu’à se mettre un peu au boulot et se préoccuper aussi des plans de chasse cervidés. 

Il faut aussi se rendre compte que certains plans de chasse sont excessifs. Ce qui pose un autre problème, celui de l’écoulement de la venaison. Comment écouler toute cette venaison quand on a des plans de chasse aussi importants ? C’est à prendre en compte. Aujourd’hui, si on n’a pas rapidement une filière venaison qui se met en place, c’est sûr que ça sera très difficile.

Quand je vois les plans de chasse de certaines de nos sociétés chez moi avec, par exemple 80 attributions pour dix chasseurs dans une commune. Comment font-ils ? Ça fait huit carcasses par chasseur. S’il n’y a pas rapidement une filière pour écouler cette venaison, si on ne simplifie pas la commercialisation ce sera difficile. Je crois que la FNC a commencé à faire des études à ce sujet.

Dans les Hautes-Pyrénées nous sommes en train de mettre en place un projet à ce sujet. Nous le menons avec les politiques locaux. Toute la structure amont est mise en oeuvre par la fédération. On a mis en place les chambres froides, on récolte les carcasses, on vient d’acheter un camion frigorifique pour les acheminer jusqu’à l’abattoir. Nous sommes en attente de l’agrément de l’abattoir pour dépecer. Et pour la filière aval, je fais actuellement une étude avec un groupement de communes pour mettre en place un centre de traitement. Donc, le dernier maillon qui manque, c’est de relier les deux bouts de la haine, c’est l’abattoir homologué. 

Dans les Pyrénées Orientales, il y a une entreprise qui a déjà mis tout ce système en place. 

Oui, ça marche très bien pour les Pyrénées-Orientales, mais il ne vient pas chez nous, c’est trop loin. Il trouve suffisamment de venaison autour de chez lui et au-delà, dans les contreforts du massif central, je pense à la Lozère et à l’Aveyron.

Avant la COVID, la venaison s’écoulait sans problème. Il y avait une filière qui marchait bien avec un transformateur qui faisait du porc noir mais aussi du gibier et qui était un chasseur passionné, il nous prenait énormément de venaison. Le COVID a été un frein et on a du mal à se relancer depuis. Mais avec ce transformateur, Pierre Sajous, nous avions pris le restaurant du Pic du Midi dans lequel 70% des repas c’était le pavé de cerf.

Certains disent aussi que l’ouverture au 1er juin permettra de diminuer les dégâts forestiers. 

C’est un faux problème, parce que c’est une vue de l’esprit de l’ONF. Pour l’ONF, un bon cerf, est un cerf mort. A l’ONF, tous les moyens sont bon pour tuer les cerfs. L’éthique, ils s’assoient dessus. Ils n’ont qu’à nous donner l’exemple dans leurs forêts domaniales, qu’ils nous montrent comment on fait. A l’ONF, ce qu’ils veulent, c’est que l’on tue un maximum de cerfs. Les plans de chasse actuels ne leur suffisent pas. Chez nous, nous sommes à 3500, il voudraient 4000. Quand je serai à 4000, ils vont me demander 4500. Aujourd’hui, ils ne sont pas crédibles. J’ai connu l’arrivée du cerf dans mon département dans les années 80. Pour avoir un bracelet, il fallait en demander 10. C’était l’ONF qui cadenassait tout. Aujourd’hui, vous demandez un bracelet, on vous en donne 10 ! 

Les fédérations alsaciennes s’insurgent d’ailleurs contre des plans de chasse cervidés qu’ils jugent excessifs. 

Oui, tout à fait. Le problème de l’ONF aujourd’hui, c’est qu’il ne viennent plus discuter avec les fédérations. Il vont directement voir le préfet. Pas plus tard que cette semaine, le directeur de l’ONF s’est permis d’envoyer un courrier à tous les maires du département pour qu’ils soutiennent l’enquête publique sur l’ouverture anticipée du cerf au 1er juin. Les maires m’ont appelé en me demandant de quoi il s’agissait, ils n’étaient pas au courant.

L’ONF ne remet pas en cause sa gestion comme les grandes coupes à blancs ou les plantations de résineux mais aujourd’hui, on revient en arrière, on se rend compte qu’on a fait de grosses erreurs et que l’on a des sols acides où plus rien ne pousse. On a détruit les sites des grands tétras. Les vieilles forêts ont été détruites alors que l’on sait que le grand tétras aime ces vieilles forêts. Aujourd’hui, ils font marche arrière mais nous ne sommes pas responsables de ces erreurs passées et l’ONF veut rendre le cerf responsable des tout ceci.

Alors, oui, dans certains secteurs on peut observer de très grosses harde de 200, 250 individus qui prennent le soleil. On peut parler de surpopulation mais ce n’est pas la faute des chasseurs. Depuis 20 ans les plans de chasse n’ont pas cessé d’augmenter, chez moi ils ont doublé en 10 ans. Il faut aussi savoir que ces regroupements hivernaux sont un phénomène naturel comme c’est le cas pour le chevreuil.

Un autre sujet qui a été abordé lors du CNCFS c’est la demande d’autorisation des shotskams, ces caméras qu’on fixe sur le canon des fusils. Ne pensez-vous pas que ces gadgets soient dangereux en incitant certains chasseurs à plus se préoccuper des images que de la sécurité ? Et surtout lors des battues grand gibier.

Je faisais partie du CNCFS qui avait interdit ce dispositif. C’est dangereux, il ne faut pas que le chasseur ne pense qu’à sa vidéo, il faut qu’il s’occupe de ce qu’il a devant lui.

Ce qui me gêne aussi, c’est qu’on est en train de tout autoriser, y compris des appareils qui n’apportent pas grand chose à la chasse.

On a autorisé les réducteurs de son, résultat on ne sait pas qui chasse et qui ne chasse pas aujourd’hui. Puis, ce sont les lunettes thermiques qui apparaissent. Même si c’est interdit en action de chasse, c’est autorisé à la vente. Un armurier m’a dit, « là où j’en ai vendu le plus, c’est dans ton département. » Il ne faut pas se leurrer, les gars n’achètent pas des thermiques pour juste aller regarder. Donc aujourd’hui, avec les réducteurs de son et les thermiques on peut s’équiper sans problème pour aller braconner.

Et l’utilisation des jumelles thermiques à la chasse va à l’encontre de ma conception de la chasse. Je pense qu’à la chasse, il faut qu’il y ait encore un peu d’adrénaline et d’incertitude.

Aujourd’hui, n’importe quel quidam avec une paire de jumelles thermiques se met face à une paroi rocheuse et va vous trouver les isards, les chamois, ou les mouflons. Avec des jumelles normales, il arrive même au meilleur chasseur de montagne de passer à côté des animaux. Avec des thermiques, vous voyez tout, le lièvre gité, la compagnie de perdreaux dans le fond du champ. C’est ça la chasse ? C’est ça l’image que l’on veut donner ? Certains diront que je suis de la vieille école mais franchement ça sert à quoi d’aller à la chasse s’il n’y pas d’adrénaline et d’incertitude ?

Moi, je chasse le lèvre au bâton. L’ adrénaline c’est le lancer, c’est la voix des chiens. Là, c’est le graal !

Certains disent que votre opposition à cette mesure serait motivée par un désaccord plus profond avec le président national. 

Alors, je vais couper court à ça. Je n’ai jamais eu de désaccord avec Willy Schraen. Je n’ai aucune animosité à son encontre, on a même été amis. On a un petit différend mais, regardez, il a eu un différend avec Coste et ils se sont quand même réconciliés. Mais je suis quelqu’un qui a une devise, je préfère mourir debout que vivre à genoux. Les couleuvres, je ne les avale pas.

Vous faites partie du conseil scientifique de la FNC, que pouvez-vous nous en dire ?

Je fais partie partie du conseil scientifique de la FNC parce qu’on le l’a demandé mais je  ne m’y sens pas bien. C’est tout sauf un conseil scientifique, parce que les gens qui y participent ne sont pas des scientifiques, ni des biologistes. On ouvre la porte à n’importe qui. Depuis neuf ans que ce conseil scientifique existe, il n’a pas fait une seule publication. Si on est scientifique, il faut faire des publications pour être crédible. 

On tourne en rond, toujours autour des mêmes sujets. Savoir s’il faut mettre des radars ici ou là. Et toujours le procès de l’Observatoire des Galliformes de Montagne (OGM). Lors de la dernière réunion du conseil, au bout d’un quart d’heure j’ai pris la parole et j’ai demandé quel était le but de la réunion et si c’était le procès de l’OGM.

Quels sont les sujets qui devraient être abordés en ce moment selon vous ?

Avec mes 21 ans de président et mes 15 ans à la FNC, je pense que je fais partie des gens qui ont du vécu aujourd’hui. Je suis par exemple à l’origine de l’autorisation des téléphones et des talkie walkies à la chasse.

J’avais bien d’autres projets pour la chasse française. Ne serait-ce que l’ouverture du lapin au 15 août. Pour ne pas attendre que ce soit la maladie qui les régule début septembre. De plus, cela aurait permis à nos jeunes chasseurs de chasser trois semaines avant de retourner à l’école ou au lycée. Ce sont des choses simples qu’on ne fait malheureusement pas.

Prenez aussi, par exemple, l’ouverture de la caille au dernier samedi d’août, une année vous ouvrez le 31 août, l’année après, ce sera le 25 août. Ça n’a rien de scientifique. Si elles sont volantes au 25 août une année, elles le sont toutes les années. Donc, il faudrait instaurer une date comme pour le canard, la dernière décade d’août, point à la ligne. Que ce soit un lundi, un mardi, on s’en fiche mais au moins on fait chasser nos jeunes. Et on crée des vocations sur le petit gibier. Aujourd’hui, la chasse française ne parle que de grand gibier et de dégâts. 

Justement, il y avait quelqu’un qui parlait beaucoup de petit gibier et qui défendait bien la chasse du petit gibier, c’était Jean-Claude Ricci avec l’IMPCF. Comment expliquer qu’il n’ait plus de financement ? 

On a tué l’IMPCF comme on veut aujourd’hui tuer l’observatoire des galliformes de montagne ?

Qui veut le tuer ?

La FNC, le conseil scientifique qui veut tout récupérer, toutes les données, toutes les études. Moi je dis qu’on ne peut pas être juge et partie. Je me suis occupé des galliformes de montagne, j’ai été à l’origine de la stratégie nationale pour le grand tétras jusqu’en 2008. Et bien on a réussi à chasser ces oiseaux pendant 12 ans, jusqu’au moratoire d’il y a trois ans. 

On a tué l’IMPCF, on va tuer l’OGM et on ne chassera plus dans les Pyrénées, il ne nous reste plus que la perdrix grise. D’ailleurs, nous sommes le département où en chasse le plus. Il y a un plan de gestion de 1000 et on en prélève 500. Aujourd’hui personne ne me demande rien sur la perdrix grise de montagne, on va se renseigner ailleurs, c’est dommage. Je vais continuer à appliquer mon plan de gestion avec l’OGM et l’OFB, avec des gens sensés.

Mais vous savez, on a perdu beaucoup de chasses traditionnelles, on a perdu le grand tétras qui était une chasse enracinée dans nos montagne. Et on a perdu parce que la FNC ne nous pas défendu. On s’est fait avoir au Conseil d’état, sans réagir, il aurait fallu se défendre comme on l’avait fait en 2008.

Président merci de cette franchise et de ce ton direct et sans fioritures.


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