Nous avons tous cet ami chasseur qui dit qu’il « a explosé » un sanglier, qu’il « s’est fait » ce chevreuil ou qu’il « a éclaté » deux canards. Si ces mots sont colorés et imagés, ils ne transmettent néanmoins pas beaucoup d’empathie pour les animaux et sont un peu réducteurs. Le choix du vocabulaire est important lorsque l’on parle de chasse. Les mots utilisés ne doivent pas choquer un public non averti et ils doivent refléter ce qu’est la chasse d’aujourd’hui.

Le vocabulaire de ce chasseur est un exemple du débat auquel vous avez tous déjà certainement participé. Il s’agit de savoir si les chasseurs « tuent » ou « prélèvent » les animaux qu’ils chassent. Si vous pensez que l’utilisation du verbe « prélever » n’est qu’un reflet de l’intrusion récente du politiquement correct dans nos traditions, vous vous trompez. Le débat remonte au fondateur de la gestion moderne de la faune sauvage, le célèbre Aldo Leopold1 qui était un forestier, un naturaliste, un écrivain et un grand défenseur de la nature sauvage de la première moitié du XXème siècle. Il est considéré comme l’un des pères fondateurs de la gestion et de la protection de l’environnement aux États-Unis

Récolter ce que l’on sème

Leopold qui était chasseur et pêcheur est connu pour ses essais rassemblés dans l’ouvrage « A Sand County Almanac » mais surtout jeté les bases de la gestion scientifique des populations d’espèces sauvages qui étaient en voie de rétablissement en Amérique du Nord (cerfs de Virginie par exemple). Il a beaucoup insisté sur l’équilibre à trouver entre prélèvement et conservation en mettant en avant le fait que les chasseurs récoltent ce qu’ils sèment.

Dans son ouvrage de 1933 intitulé « Game Management », Leopold décrit en termes agricoles le travail de gestion du gibier : « La gestion du gibier est l’art de faire en sorte que la terre produise des récoltes annuelles de gibier sauvage. Dans ce contexte, le verbe « récolter » est le terme naturel pour décrire le rôle des chasseurs dans la gestion de ces récoltes sauvages. »

Aux États-Unis, on utilise en effet le verbe to harvest quand on décrit l’action de tuer du gibier à la chasse. « I had the chance to harvest this splendid buck. » En France le terme équivalent pourrait être « prélever ». Il a pratiquement le même sens puisqu’il implique une gestion raisonnée des populations de gibier. Le prélèvement fait référence au même travail de gestion et de conservation que celui que prônait Leopold. Chez nous cette approche conservationniste de la chasse a été popularisée dans les années 60 et 70 par François Sommer. Celui-ci voulait que les chasseurs considèrent la nature et le gibier comme un capital dont il ne fallait « prélever » que les intérêts.

Ne pas choquer inutilement

Utiliser des expressions imagées n’est pas très grave tant que cela reste dans le cercle restreint des amis et des chasseurs. Mais que se passe-t-il si un non-chasseur ou même un anti-chasse les entend ou les lit ? Ils risquent de juger ce chasseur – et par extension, tous les autres – comme quelqu’un qui n’a que peu d’égards pour la faune sauvage, simplement à cause des mots qu’il utilise. La façon dont nous, chasseurs, décrivons nos actions peut influencer la perception que le grand public a de nous.

Certains disent qu’utiliser le verbe « prélever » au lieu de « tuer » serait une concession au politiquement correct faite par des chasseurs qui chercheraient à masquer l’acte final de la chasse en utilisant un vocabulaire édulcoré. C’est peut-être vrai pour certains mais le verbe « prélever » décrit mieux ce que la chasse doit être aujourd’hui, c’est à dire une chasse fondée sur une gestion raisonnée des espèces.

Il n’est plus question de chasser une espèce à outrance et de conduire ainsi à sa disparition comme ont pu le faire certains chasseurs au XIXème siècle. Certes, il s’agissait alors de chasse utilitaires, vivrières mais le fait est que les bisons d’Amérique ont bien failli disparaître et que le bouquetin des Pyrénées avait bel et bien disparu du côté français. Aujourd’hui les chasseurs doivent s’inscrire dans une approche de gestion et de conservation. Le vocabulaire utilisé doit le refléter. C’est ainsi qu’il sera possible de mieux faire comprendre notre passion et de mieux la défendre.

La gestion raisonnée ne doit pas tuer nos émotions

Évidemment, ceci est la partie raisonnée et intellectualisée de la chasse. Il ne faut pas qu’elle devienne le seul moteur de notre passion. Je ne chasse pas pour réguler ou gérer, je régule parce que je chasse. Nuance !

Il ne faut donc pas évacuer, condamner et rendre honteux ce moment palpitant où l’on décide de tirer. A ce moment-là, c’est le prédateur qui prend le dessus, c’est l’émotion qui nous envahit. C’est ce qui nous pousse à nous lever à des heures indues, à nous aventurer dans la nature et à endurer le froid et l’inconfort. Comme le disait Dominique Venner lorsqu’il décrivait une de ses chasses au brocard à l’approche en Écosse :

« Il en est comme pour l’acte d’amour. À un certain degré d’intensité, ne pas conclure serait un échec. »

A cet instant, nous tuons, n’en n’ayons pas honte et assumons ce statut de prédateur. Ces sentiments sont connus et compris de tous les chasseurs.

Bien entendu, devant un public non averti, je parlerai de prélèvement. car il est important, pour défendre notre passion, de ne pas choquer ceux qui ne peuvent pas comprendre nos émotions mais seront sensibles à l’aspect raisonné de cette pratique.


  1. Lire cette intéressante étude de Christian Barthod : Aldo Leopold, forestier américain : une histoire de forêts, de  »cervidés » et de loups.
    ↩︎

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