Imaginez une sortie d’approche en 2030. Vous êtes équipé de tous les outils modernes augmentés par l’IA fournis par les meilleurs fabricants.
Vos jumelles thermiques connectées vous indiquent automatiquement la localisation précise de l’animal grâce à votre drone. Celui-ci a survolé la zone avant la saison pour repérer les remises et les itinéraires de gagnage des animaux puis vous l’avez envoyé faire un survol au début de votre sortie matinale.
Grâce à ces informations ainsi collectées et analysées vous avez accès à toutes les données comportementales essentielles sur votre gibier. Elles seront analysées par l’IA intégrée à vos jumelles qui vous fourniront les meilleures options : période de la journée, météo, direction du vent, localisation des plus beaux spécimens, recommandations de tir, meilleur itinéraire d’approche…
Les partisans de cette modernité (il y en a) vous diront que, grâce à ces outils, vous aurez plus de chances de réussite, votre tir sera plus précis, la gestion du territoire sera plus efficace.
Mais au fond de vous, il y a encore quelques réminiscences de ce que devrait vraiment être la chasse, vous vous remémorez les récits de votre grand-père ; des questions et des doutes vous assaillent.
- Dois-je obéir à toutes ces injonctions ?
- Est-ce vraiment de la chasse ?
- Pourquoi laisser la technique et l’IA décider pour moi ?
- Suis-je un gestionnaire-régulateur ou un chasseur ?
- A quoi servent maintenant ma vue, mon ouïe, ma connaissance de la forêt ?
- Suis-je encore maître de mes décisions et de mes choix ?
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Efficacité ou enracinement ?

« La chasse n’est rien, si elle n’est d’abord poésie. Poésie de la quête, de la poursuite et de l’aventure; sympathie instinctive et profonde avec la branche porteuse d’indices, l’herbe foulée, l’humus où s’imprime une empreinte; avec ce qui se cache, se glisse, se dérobe et s’évade, mais laisse flotter derrière soi un flocon, un duvet que l’épine accroche et demeure tiède au soleil vivant aux souffles passagers.1 » Maurice Genevoix
Ce scénario cauchemardesque n’est peut-être pas de la fiction mais juste la prémonition d’un avenir pas si lointain. Aujourd’hui déjà, la technologie influence massivement notre perception de la nature et notre comportement à son égard.
Le discours actuel sur la nécessaire régulation des populations de sangliers (et des cervidés devenus les ennemis numéro un de la forêt…) risque de nous y conduire plus vite qu’on ne le pense.
L’ONF impose déjà des quotas minimums et met à l’amende les adjudicataires qui ne les atteignent pas ; certains syndicats agricoles veulent instaurer le même système pour les sangliers autour des zones les plus touchées par les dégâts. La régulation pourrait, au nom de l’efficacité, nous pousser à oublier ce pourquoi nous chassons. On autorise les lunettes thermiques dans certains départements, la chevrotine dans d’autres. Pourquoi pas l’IA et le drone ?
Les agences commerciales de chasse sont aussi à la recheche de l’efficacité afin de satisfaire le client. Certaines ne se chachent même pas de cartographier leurs territoires et de repérer les zones de remise des chevreuils à l’aide de drones. Une célèbre influenceuse en fait même la promotion… Cette approche purement technique risque, à court terme, de dénaturer l’essence même de la chasse.

« À mes yeux, la chasse n’est pas un sport. C’est un rituel nécessaire où chacun, prédateur ou proie, joue la partition que lui impose sa nature. Avec l’enfantement, la mort et les semailles, je crois que la chasse, si elle est vécue dans les règles, est le dernier rite primordial à échapper partiellement aux défigurations et manipulations mortelles de la modernité.2 » Dominique Venner
Nous devons nous poser la question suivante : quel rôle voulons-nous jouer à l’avenir en tant que chasseurs ?
On ne peut pas rester enraciné dans sa forêt, sa campagne, son terroir si les outils font barrage et imposent leur filtre. Nos mains doivent toucher la terre et nos yeux être capables de distinguer l’imperceptible mouvement du chevreuil qui se défile. Barrès disait « La terre nous parle » en évoquant l’attachement à nos racines et à la terre natale. Ne coupons pas ce lien indispensable.
Il s’agit de savoir si l’on veut être « de son temps » ou « de son lieu » comme le dit si bien Pierre-Jakez Hélias.

« Il est facile d’être de son temps. La belle affaire ! N’importe quel imbécile peut être de son temps ! Il suffit de suivre tout le monde et de bêler avec le troupeau.
Mais être de son lieu, ce n’est pas donné à tout le monde. Être de son lieu, c’est justement établir entre l’endroit où l’on vit, où l’on a ses occupations, où l’on mène son existence tout entière, entre l’endroit où l’on vit, donc, et soi-même, cette espèce d’entente qui fait qu’on finit par approcher de ce qu’on appelle la sagesse3. »
La dérive marchande – les injonctions des fabricants
Toute cette dérive est bien entendu encouragée par les « marchands du temple » qui entendent bien vendre un maximum de produits à ces nouveaux chasseurs plus préoccupés de leur dernier gadget que de la connaissance intime d’un territoire et de la connexion avec la nature.
Les groupes Facebook de chasse en sont une bonne illustration. Ils sont envahis de publicités pour les nouveaux produits et cela ne pose de problème à personne apparemment. Buscs réglables, carabine carbone à trou de pouce, appareils de vision thermiques, réducteurs de son, vêtements « techniques », application chasse… Le plus désolant est que cette course aux gadgets est encouragée par nos dirigeants qui ont demandé récemment à autoriser les shotkams, ces outils destinés à satisfaire l’égo du chasseur en enregistrant les vidéos de ses tirs.
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Le chasseur doit-il céder à toutes les sollicitations des « marchands du temple » ? Notre passion ne peut-elle pas rester indemne de ces incitations à dépenser et à ressembler de plus en plus à des snipers ? Devons-nous céder à leurs injonctions et devenir des consommateurs dociles ?
- La dernière harde – Maurice Genevoix ↩︎
- Le choc de l’histoire – Dominique Venner ↩︎
- La sagesse de la terre – Pierre-Jakez Hélias
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