Les pays d’Afrique australe ont demandé récemment à la CITES1 d’autoriser une vente d’ivoire d’éléphant venant de confiscations du braconnage et des stocks issus de mort naturelle d’une valeur de plusieurs millions mais les États partie à la convention vont probablement rejeter cette proposition alors ques les revenus que cela pourrait générer seraient utiles pour la protection et la gestion des espèces. Ce refus réflexe illustre une tendance inquiétante : les politiques de conservation sont fondées sur l’émotion plutôt que sur les données scientifiques.
Malheureusement, cette approche s’avère contre-productive et affecte la protection des espèces sauvages au niveau mondial. Il est possible de proposer une autre voie à suivre. Il faut rappeler que la CITES est une convention qui régule le commerce international des espèces pour éviter qu’il n’affecte le bon état de conservation de celles-ci.
L’ANTILOPE SAÏGA : UN DILEMME POUR LA CONSERVATION
Alors que les médias mettent régulièrement l’accent sur les confiscations d’ivoire issu du braconnage, l’antilope saïga (Saiga tatarica) fait l’objet de moins d’attention. Cette relique de l’ère glaciaire, avec son nez caractéristique en forme de trompe, était menacée par la demande illégale de cornes des mâles de l’espèce. Pourtant, la saïga qui était en piteux état de conservation il y a 20 ans retrouve des effectifs satisfaisants au Kazakhstan où les populations dépassent désormais le million d’animaux, ce qui devrait inciter à assouplir les restrictions sur son utilisation durable.

ALLER AU-DELÀ DES INTERDICTIONS RÉFLEXES
La réponse classique au déclin des espèces menacées suit un schéma prévisible : imposer des interdictions commerciales, lutter contre le braconnage et renforcer les sanctions. Si ces stratégies conventionnelles ont le mérite d’exister, leurs limites sont de plus en plus évidentes. Malgré l’interdiction internationale du commerce de l’ivoire en 1989, des milliers d’éléphants sont braconnés chaque année. L’antilope saïga a connu un déclin de sa population de plus de 95 % après l’effondrement de l’Union soviétique en raison de la surexploitation, du braconnage et des épidémies.
La CITES a des mérites indéniables, mais elle montre les limites d’une politique axée sur l’interdiction. Tant que la demande persiste et que les prix du marché noir restent astronomiques, les interdictions ne suffisent pas à assurer une protection suffisante, les entreprises criminelles trouvant sans cesse de nouvelles méthodes de contournement.
DES EXEMPLES DE RÉUSSITE : LE BONTEBOK ET LA SAÏGA
Alors que l’ivoire, l’éléphant et le rhinocéros font la une des journaux, d’autres événements remarquables se produisent ailleurs. L’autorité sud-africaine de la CITES envisage de demander le déclassement du statut de protection du bontebok (Damaliscus pygargus pygargus), une antilope de taille moyenne sauvée de l’extinction par des propriétaires terriens privés qui l’ont élevée comme espèce chassable. Aujourd’hui, sa population a retrouvé des effectifs satisfaisants, ce qui prouve que les mesures d’incitation économique sont un gage de réussite en matière de conservation. Parallèlement, le Kazakhstan cherche à lever le quota zéro pour l’utilisation commerciale des cornes de l’antilope saïga. Il ne s’agit pas d’une question de profit à court terme, mais d’une réflexion scientifique sur la dynamique des populations et de la reconnaissance du fait que la demande asiatique ne peut être éliminée par l’interdiction. Une récolte légale et contrôlée pourrait saper les marchés illégaux tout en générant des fonds pour la conservation.

DES ÉCHECS EUROPÉENS : L’ANGUILLE ET LE CERF ÉLAPHE
L’anguille européenne est l’exemple même de l’échec d’une protection stricte sans composante d’utilisation durable. Malgré l’interdiction d’exportation décrétée par l’UE en 2010, les populations continuent de décliner de façon spectaculaire. Cette ironie met en évidence la façon dont l’UE se présente comme le gardien de la protection des espèces au niveau international, alors que ses propres stratégies échouent complètement. La situation du cerf élaphe en Allemagne est tout aussi préoccupante. Les malformations génétiques dues à la consanguinité – mâchoires raccourcies, yeux manquants et graves malformations corporelles – sont devenues courantes. La fragmentation de l’habitat par les établissements humains et les voies de transport isole les populations, obligeant les animaux apparentés à s’accoupler Chaque génération montre des conséquences négatives croissantes de la dépression due à la consanguinité. Si de telles conditions affectaient les antilopes ou les éléphants d’Afrique, le tollé international serait immédiat.
LES COMMUNAUTÉS LOCALES ET L’ÉCONOMIE SONT SYSTÉMATIQUEMENT OUBLIÉES
Les débats en occident sur la conservation négligent souvent un facteur crucial : les communautés locales et leurs intérêts économiques. Dans les savanes africaines ou les steppes kazakhes, le sort des espèces menacées n’est pas déterminé par des gardes forestiers bien payés venant de la capitale mais par les populations locales qui vivent dans des conditions économiques souvent précaires.
Le principe fondamental de l’utilisation durable est que les gens protègent plus volontiers ce qui leur apporte une valeur économique.
Ce concept n’est pas nouveau, la chasse à la saïga réglementée par l’État en Union soviétique était considérée comme un modèle réussi de gestion durable de la faune dans les années 1970 et 1980, avant que l’effondrement du système n’entraîne un braconnage incontrôlé et un déclin de la population.
ALLER AU-DELÀ DES INTERDICTIONS
Certaines régions d’Afrique démontrent l’efficacité des approches alternatives. Le programme CAMPFIRE du Zimbabwe confère aux communautés locales la responsabilité des ressources de la faune sauvage, y compris les avantages économiques. Les revenus de la chasse contrôlée et de l’écotourisme financent directement les écoles, les soins de santé et les projets communautaires, transformant ainsi les habitants en acteurs engagés de la protection de la faune.
En Afrique du Sud, les réserves privées ont sauvé le rhinocéros blanc de l’extinction. Alors que les parcs d’État font face à des pénuries de ressources, les propriétaires fonciers privés investissent considérablement dans la protection – non par altruisme, mais parce que les rhinocéros représentent une valeur économique. Environ 30 % de la population de rhinocéros d’Afrique du Sud vit aujourd’hui sur des terres privées.
CONCEPTS NOVATEURS POUR LA CONSERVATION DE LA SAÏGA
Pour les saïgas, ces idées nouvelles incluent la collecte des cornes lors de la mortalité naturelle (qui atteint 80 % pour les mâles pendant la saison du rut), leur marquage en toute sécurité, leur transport et leur acheminement vers les consommateurs d’Asie du Sud-Est par le biais de systèmes régulés. Les bénéfices profiteraient aux personnes partageant l’habitat de la saïga Ce concept, qui ne nécessite aucun abattage d’animaux, a été élaboré en détail, il reste à le mettre en oeuvre mais il est actuellement juridiquement impossible dans le cadre de la réglementation en place.

CONDITIONS PRÉALABLES À L’UTILISATION DURABLE
L’utilisation durable n’est pas une solution miracle et peut comporter des risques. Pour que cela réussisse, il faut d’abord étudier scientifiquement la population animale en question, puis mettre en place une attribution transparente des droits d’utilisation, des contrôles efficaces pour prévenir les abus et une répartition équitable des bénéfices. Une mise en œuvre responsable exige l’application des principes de précaution et la volonté de s’adapter aux éventuelles évolutions négatives. L’alternative est le maintien de régimes d’interdiction inadéquats qui n’ont pas empêché le déclin des espèces menacées.
CONTRE LES CONCEPTS ROMANTIQUES DE LA NATURE
Le rejet de l’utilisation durable découle souvent d’une vision naïve de l’homme comme perturbateur d’écosystèmes prétendument vierges.
Ce point de vue ignore les milliers d’années pendant lesquelles l’humanité a activement façonné les environnements. Il semble particulièrement suspect que les nations industrialisées, riches d’avoir sacrifié leur propre nature sauvage, exigent une conservation stricte sans possibilité d’utilisation de la part des pays en voie de développement.
L‘EXEMPLE DES ÉLÉPHANTS AU BOTSWANA
Le Botswana illustre parfaitement ce problème. En 2014, son gouvernement a imposé une interdiction totale de la chasse pour protéger les éléphants, suscitant les applaudissements des défenseurs de l’environnement occidentaux. Cinq ans plus tard, l’interdiction a été levée après que les populations d’éléphants ont augmenté de façon spectaculaire, provoquant des conflits massifs entre l’homme et la vie sauvage, la destruction des récoltes et des pertes humaines.
Le conflit a atteint son paroxysme en 2024 lorsque l’ancien président du Botswana, Mokgweetsi Masisi, a offert à l’Allemagne 20 000 éléphants suite aux critiques allemandes concernant la reprise de la chasse.
Cette proposition un peu provocatrice a mis en évidence le double standard occidental : les pays européens dictent les politiques africaines de protection de la faune et de la flore sans en supporter les coûts et les conflits.
Le Botswana abrite la plus grande population d’éléphants d’Afrique (environ 130 000 animaux selon les estimations) alors que l’on estime la capacité d’accueil de ce pays à une population de 50 000 éléphants au maximum. Les éléphants endommagent la végétation, mettent en danger d’autres espèces sauvages en raison de la concurrence alimentaire et sont la cause de nombreux décès d’habitants. Bien que l’offre du président Masisi ait été faite sur le ton de la plaisanterie, elle a mis en évidence le fossé entre la conservation théorique lointaine et les défis pratiques sur le terrain.
VERS UNE ALLIANCE INTERNATIONALE DE LA RAISON ?
La dynamique actuelle de la CITES offre des opportunités pour une nouvelle coalition mondiale de protection des espèces. Les États africains de la région KAZA2 et de la SADC3 pourraient soutenir à la fois la demande de l’Afrique du Sud concernant le bontebok et l’initiative du Kazakhstan concernant la saïga.
Des indices suggèrent que ces demandes pourraient recevoir le soutien des autorités européennes, qui, pour une fois, pourraient privilégier les résultats scientifiques plutôt que les positions idéologiques.
Une alliance forte des États de la SADC avec des pays asiatiques comme le Japon, la Chine et le Viêt Nam, ainsi que des États d’Asie centrale expérimentés dans la gestion réussie du markhor et de l’argali, pourrait constituer une voix puissante pour briser le blocus de la politique internationale de protection des espèces.
La prochaine conférence de la CITES offre la possibilité de mettre en évidence les échecs de la politique de conservation de la nature de l’UE tout en présentant des alternatives. L’intérêt médiatique et politique est considérable. L’utilisation durable s’avère fructueuse pour le bontebok et potentiellement pour l’antilope saïga, elle pourrait finalement conduire à une réévaluation des politiques relatives à l’ivoire et à la corne de rhinocéros. Il ne s’agit pas de revenir à un commerce incontrôlé, mais d’élaborer des stratégies de gestion différenciée fondées sur la science et soumises à une stricte supervision internationale.
Et si nous laissions parler la science ?
- La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, connue par son sigle CITES ou encore comme la Convention de Washington, est un accord international entre États. Elle a pour but de veiller à ce que le commerce international des spécimens d’animaux et de plantes sauvages ne menace pas la survie des espèces auxquelles ils appartiennent. ↩︎
- La zone de conservation transfrontalière du Kavango-Zambèze (abrégée KaZa) est la plus grande de ce genre sur le continent africain et abrite une riche faune sauvage, dont des éléphants et des lions. ↩︎
- Communauté de développement d’Afrique australe – CDAA (ou SADC, Southern African Development Community) – est une organisation qui vise à promouvoir le développement économique de l’Afrique australe. ↩︎
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