Le 12 août est une date importante en Écosse et dans le Yorkshire car c’est l’ouverture de la chasse à la grouse. Ce jour si particulier pour les chasseurs du Royaume-Uni est le fruit d’un travail de longue haleine pour les propriétaires des ces territoires. Il démontre que la chasse permet la gestion raisonnée des espèces et des biotopes et que la nature ne se régule pas seule.
Pour beaucoup dans le monde de la chasse, le 12 août est plus qu’une simple date. Il représente la tradition, le patrimoine rural et une journée de chasse unique en son genre. Mais si les chasseurs apprécient le frisson de voir les grouses voler au-dessus des buttes, rares sont ceux qui voient l’énorme travail qui rend cela possible.
Derrière chaque « brace » (mot utilisé pour désigner une paire) de grouse et chaque chasse parfaite se cachent des mois de préparation, d’organisation et d’efforts de conservation.
Le travail commence au printemps
La nouvelle saison ne débute pas avec l’arrivée des premiers oiseaux. Elle commence au printemps, lorsque les équipes qui travaillent sur ces immenses territoires démarrent leurs Land Rover et partent inspecter la lande.
L’hiver laisse des traces. Les chemins de montagne sont souvent creusés de nids-de-poule profonds, les fossés sont bouchés et les ponts parfois emportés par les eaux. À partir du mois de mai, les équipes commencent les réparations. Elles réparent les chemins, nettoient les fossés et remplacent les passerelles. Chaque échalier et chaque marche en bois est inspecté et sécurisé. C’est un travail méthodique qui pose les bases de la saison à venir.
Vérification des butts, les postes de tir
Les postes de tir ne sont pas de simples trous dans le sol. Chacun d’entre eux doit être sûr, dissimulé et offrir au tireur une plate-forme plane et sécurisée. Il doit se fondre dans le paysage tout en permettant des angles de tir dégagés.
Au cours de l’été, les gardes parcourent chaque ligne de butts. Ils traitent le bois avec une teinture, réparent le gazon usé et repeignent les numéros effacés par les intempéries. Ces petites tâches peuvent sembler banales, mais elles sont essentielles pour la sécurité et l’organisation du jour J.

Des comptage minutieux à l’aide des chiens
À partir de juillet, l’attention se porte sur les oiseaux eux-mêmes. Le recensement commence, à l’aide de chiens d’arrêt qui parcourent la lande.
Chaque couvée débusquée est enregistrée et la taille des couvées est soigneusement consignée. Les gardes évaluent si la reproduction a été bonne, si les oisillons ont survécu et si il est possible de chasser sans porter atteinte localement à l’état de conservation de l’espèce. Lors des mauvaises années de reproduction, souvent causées par les intempéries, les parasites ou les coléoptères de la bruyère, la chasse peut être réduite ou complètement annulée. C’est l’essence même de la chasse conservation.
Ces décisions sont difficiles à prendre, mais elles garantissent la crédibilité à long terme et la valeur de conservation de la chasse à la grouse en battue.
➠ Lire aussi : Pour en finir avec les mensonges sur la chasse à la grouse
Le compte à rebours final
À l’approche du 12, les territoires passent à la vitesse supérieure. Les équipes de chasse sont confirmées, les radios testées et les véhicules de chasse vérifiés. Les domaines voisins coordonnent souvent leurs dates et, si nécessaire, partagent leur personnel expérimenté afin d’assurer le bon déroulement des opérations. L’accueil des chasseurs est planifié dans les moindres détails. Le marchand de gibier local est informé afin qu’il soit prêt à venir récupérer les oiseaux tirés le soir même.
Le jour J
Le garde-chasse en chef (head keeper) se lève bien avant l’aube pour passer en revue une dernière fois tous les détails. Pendant que les chasseurs sont accueillis et que les numéros sont tirés au sort, les rabatteurs et les ramasseurs reçoivent leurs dernières instructions. Les consignes de sécurité sont clairement expliquées, depuis l’utilisation des bâtons de tir et les angles de tir jusqu’à la conduite à tenir en cas de sabotage par les anti-chasse. Ceux-ci peuvent assez virulents, voire violents en Grande-Bretagne.
➠ Lire aussi : Glorious twelfth, l’ouverture de la grouse. Les anti-chasse se déchainent.
Lorsque les premiers oiseaux survolent les buttes, les efforts déployés pendant des mois prennent tout leur sens. Les chargeurs et les chasseurs trouvent leur rythme. Chaque oiseau est marqué lorsqu’il tombe afin de guider les ramasseurs.


Une journée qui reste gravée dans les mémoires
À la fin de la journée, les oiseaux tirés sont immédiatement placés en chambre froide. Les meilleurs restaurants du pays veulent tous mettre cet oiseau mythique à leur menu dès le soir même. Il faut donc ne pas traîner pour pouvoir approvisionner les bonnes tables de Londres et du reste du pays.

Pendant ce temps, c’est le classique moment d’après chasse pour les passionnés, qui ont fait le déplacement jusqu’en Écosse. Pour les chasseurs ce fut un moment mémorable mais pour les propriétaires, et les gardes-chasse, cela représente des centaines d’heures d’efforts : entretien des pistes et des postes de tir, recensement des oiseaux et surtout gestion de la lande.
Le fruit d’un travail sur le terrain mais aussi à Londres
Lorsqu’elle est bien organisée, une journée de chasse à la grouse est plus qu’un simple événement sportif. C’est une vitrine du savoir-faire, de la conservation et de la coopération entre de multiples acteurs de terrain. Ce qui se passe lors du Glorious Twelfth commence bien avant le premier coup de feu.
Cela se joue aussi au parlement puisque la gauche travailliste se fait le relais des groupes anti-chasse qui veulent interdire la chasse à la grouse en battue. Il faut donc batailler toute l’année et faire un lobbying intense pour préserver cette chasse si importante. C’est ce que font avec ténacité la British Association for Shooting and Conservation (BASC) et la Countryside Alliance dont le secrétaire général, Tim Bonner, avait été interviewé par Chroniques cynégétiques.
➠ Lire aussi : INTERVIEW. Tim Bonner, directeur général de la Countryside Alliance
Les landes ne se régulent pas toutes seules
Si les anglais écoutaient les tenants de l’interdiction, il faudrait laisser faire la nature, ne plus piéger les prédateurs, ne plus faire de brulis de bruyère et laisser la lande à elle-même. Ce serait la fin des grouse et de bien d’autres espèces inféodées à ce milieu si particulier. Paradoxalement, c’est grâce à la chasse que la grouse ne figure pas sur la liste des espèces menacées et que le nombre d’oiseaux qui partagent son habitat est aussi élevé.
Bien que cet habitat puisse sembler sauvage, il est en réalité soigneusement géré.
Les landes de bruyère sont plus rares que les forêts tropicales humides et sont menacées à l’échelle mondiale, 75 % de leur habitat restant se trouvant en Grande-Bretagne. Il s’agit d’un habitat d’importance internationale qui abrite une faune et une flore très riches. C’est grâce à une gestion axée sur la chasse à la grouse que ce paysage unique a pu être préservé, alors qu’il a disparu ailleurs.

La grouse nichant au sol, les œufs et les poussins sont vulnérables aux prédateurs. Associé à de mauvaises conditions météorologiques pendant la saison de nidification, cela peut entraîner une réduction importante, voire la perte totale, des couvées. Le contrôle des prédateurs, tels que les renards, les corbeaux freux, les hermines et les belettes, est donc essentiel. Cela profite non seulement aà la grouse, mais aussi à de nombreuses autres espèces d’oiseaux nicheurs au sol menacées, qui partagent cet habitat de lande. Parmi ces espèces, on compte des espèces inscrites sur la liste rouge des espèces les plus menacées, telles que le tétras lyre et le plus petit rapace du Royaume-Uni, le faucon émerillon, dont le nombre a doublé dans les landes à grouse au cours des 20 dernières années, alors qu’il a diminué de plus de moitié ailleurs.
La gestion des landes permet aussi de limiter les rejets de carbone dans l’atmosphère. Il y a plus de carbone stocké dans la tourbe des landes britanniques que dans toutes les forêts de Grande-Bretagne et de France réunies. Le surpâturage intensif, l’invasion des fougères, les incendies estivaux, l’extraction de la tourbe dans les plaines ainsi que l’érosion due au vent et à l’eau peuvent exposer la tourbe à l’atmosphère, ce qui provoque le rejet de dioxyde de carbone. Une gestion prudente de la bruyère dans le cadre de la gestion des landes à grouse est donc essentielle pour préserver le carbone emprisonné dans la tourbe. Des études montrent que la gestion des landes à grouse donne des résultats positifs en termes de rejet de carbone et que le brûlage contrôlé et rotatif de la bruyère permet de réduire le risque d’incendies de forêt destructeurs et la perte de carbone jusqu’à 34 %.
Voila toute la différence entre la réalité de terrain et les slogans primaires et dogmatiques.
Happy glorious twelfth !
En savoir plus sur Chroniques cynégétiques
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.
