Les romains de l’antiquité aimaient et pratiquaient beaucoup la chasse. La lecture des auteurs classiques, les découvertes archéologiques et l’étude de leur mythologie en attestent. La villa romaine du Casale à Piazza Armerina en Sicile construite vers 320 après J.C. en est une preuve éclatante, elle comporte 3500 m2 de mosaïques dont une grande partie est consacrée à la chasse.

C’est la la plus riche collection au monde de mosaïques romaines tardives. Elle était la propriété d’un chasseur passionné comme le montre le grand nombre de mosaïques dédiées à l’art cynégétique. Un grand couloir est consacré à la chasse d’espèces exotiques, une pièce est entièrement réservée aux animaux européens et une mosaïque dans une chambre nous montre des enfants s’adonnant, eux aussi, à la chasse.

Qui était le propriétaire de cette villa ?

Nul ne le sait avec certitude mais plusieurs théories ont été avancées quant à l’identité probable du propriétaire. Certains historiens ont supposé qu’elle pouvait être celle de l’empereur romain Maximien (empereur de  286 à 305). Pour d’autres, elle aurait été construite pour son fils, Maxence ou pour Claudius Mamertinus, préfet d’Illyrie, d’Italie et d’Afrique sous Julien l’Apostat.

La seule certitude raisonnable que nous puissions avoir au sujet du propriétaire est qu’il s’agissait d’un homme riche et puissant, probablement membre de la classe sénatoriale ou de la famille impériale qui possédait des propriétés en Afrique. Les mosaïques nous apprennent qu’il gagnait de l’argent en capturant des animaux sauvages pour les venationes1 au Colisée ; qu’il aimait la chasse ; la musique et la poésie.

A cette époque, les chasseurs qui voulaient affirmer leur passion et immortaliser leurs exploits faisaient appel à des artistes qu’ils soient peintres, sculpteurs ou mosaïstes. Cela a permis l’essort de l’art cynégétique et de toute la culture qui lui est rattachée. Quelle différence avec les shotkams qui, en plus d’être dangereuses, ne produisent rien d’autre que de mauvaises images sans aucun but ni esthétique, ni culturel ! O tempora, o mores.

Le couloir de la grande chasse

Ce long couloir (66 mètres) est décoré de mosaïques qui représentent la capture d’animaux sauvages dans les zones les plus reculées de l’empire (Afrique, Asie…) et leur transport par bateau pour le cirque de Rome.

C’est une mosaïque complexe toute en longueur dont le centre est réservé à l’arrivée des animaux à Rome. Les chasses commencent aux extrémités du couloir, où se trouvent également des images des lieux situés aux confins de l’Empire romain. Une extrémité dépeint l’ouest de l’empire avec un lion et un léopard (probablement pour la Mauritanie) ; à l’autre bout c’est l’Asie avec tigre et éléphant.

Une première scène représente une chasse au léopard. Les chasseurs forment un mur avec leurs boucliers tandis que d’autres tentent d’attirer les animaux avec une peau de chevreau comme appât afin de permettre aux hommes armés de boucliers d’encercler les animaux, qui doivent être capturés vivants.

Vient ensuite une scène de chasse au lion. Les chasseurs sont à pied, armés de lances et de boucliers. Dans la partie inférieure, un chasseur est tombé et un lion s’approche alors qu’un autre chasseur derrière lui éloigne le lion avec sa lance. Au-dessus, un troisième chasseur se protège d’un lion accroupi avec son bouclier.

L’autre moitié des représentations de chasse commence à l’extrémité sud du couloir avec une mosaïque allégorie de l’Inde. Au centre, une femme est assise sur un rocher et tient une défense d’éléphant. De part et d’autres sont représentés un tigre et un éléphant.

Une autre scène se déroule au bord d’un lac ou d’un marécage où un groupe de personnes tente d’attraper ce qui ressemble à un rhinocéros.

Plus à droite, une scène représente une technique indienne de capture de tigre décrite par des auteurs de l’époque. Une boule de cristal faisant miroir est lancée devant la tigresse qui, croyant voir un de ses petits, se précipite pour le sauver. Pendant ce temps, le chasseur s’enfuit avec la portée. Est-ce une technique réelle ou est-elle issue de l’imagination des auteurs de l’époque ? Nul ne le sait mais elle est rapportée par des historiens et des poètes comme Claudien.

Les scènes suivantes montrent le transport des animaux dans une charrette tirée par des bœufs et leur embarquement dans des bateaux à destination du port d’Ostie, près de Rome.

On peut considérer que thème général de la mosaïque n’est pas seulement la chasse aux animaux sauvages pour les venationes, c’est aussi et surtout la célébration de la puissance de l’Empire romain et de la domination de la civilisation sur la nature.

La salle de la petite chasse

La grande mosaïque qui orne le sol est le récit d’une journée de chasse dans ses divers aspects ainsi que d’offrandes à Diane. Au total, la mosaïque comporte douze motifs distincts.

Cette grande mosaïque nous permet de constater que nos gibiers d’aujourd’hui étaient prisés par les romains de l’antiquité, sangliers, cerfs, lièvres, renards, oiseaux divers sont représentés. Nous voyons aussi que les romains utilisaient beaucoup les chiens de chasse.

Les chiens


Les chiens étaient déjà des auxiliaires précieux à cette époque ; ils sont présents dans presque toutes les scènes. Çi-dessous à gauche, un homme qui tient en laisse deux chiens minces à l’allure plutôt féroce et à droite un chasseur est à la poursuite d’un renard avec ses deux chiens.

Le petit gibier

Les romains chassaient comme nous, lapins, lièvres et divers oiseaux. La chasse au lapin (ou lièvre) est bien présentée avec trois mosaïques. L’une montre un chasseur en tenant un mort, une autre un chasseur lançant deux chiens à sa poursuite et la troisième dépeint un chasseur à cheval essayant d’en attraper un avec une sorte de trident.

La chasse aux oiseaux n’est pas oubliée. Sur une des mosaïques on peut voir deux chasseurs en train de se préparer pour la chasse à la glu. Ils ont leurs baguettes dans les mains et sont au pied d’un arbre sur lequel on distingue deux grives. A cette époque antique l’oiseleur est admiré par les romains pour sa grande ingéniosité (usage de la glu, de pièges, de filets et de rapaces), pour sa ruse (utilisation d’appeaux et d’appelants) et pour l’adresse que sa chasse requiert.

Le grand gibier

Pour les romains, la chasse noble par excellence est celle du sanglier, qu’ils pratiquent à pied ou à cheval, avec l’épieu pour arme. Le sanglier, est donc présent dans cette mosaïque. On y voit la mort de l’un d’eux transpercé par un épieu mais il semble qu’il ait auparavant blessé à la cuisse un chasseur que l’on voit allongé au sol. Puis une autre scène nous montre deux hommes qui transportent le sanglier attaché à un pieu à l’aide d’un filet. On peut noter un chien agité qui court sous le sanglier, en manifestant un vif intérêt pour celui-ci.

La chasse au cerf est aussi dépeinte avec une scène nous montrant deux cavaliers poursuivant trois beaux cervidés. Cette représentation est assez surprenante car la capture du cerf, en Italie, se faisait surtout au filet ou au piège, par des chasseurs à pied. La vénerie du cerf à cheval, telle qu’elle était pratiquée par les peuples des steppes n’était pas en vogue chez les romains de l’antiquité.

La salle des enfants chasseurs

Le propriétaire de cette somptueuse villa avait, semble-t-il, le souci de transmettre la passion de la chasse à ses enfants puisqu’une pièce est décorée par une mosaïque où l’on voit trois enfants s’adonnant déjà à la chasse ; deux poursuivant un lièvre, un autre attrapant un canard.

La chasse à Rome était une activité à la fois ordinaire et symbolique.

L’Italie de l’époque était très giboyeuse et permettait de chasser le loup, l’ours, le sanglier, le cerf, le chevreuil, le daim et les animaux montagnards : chamois et bouquetins, chèvres sauvages du Soracte2, mouflons de Sardaigne…

Dans le monde romain, chasser était une activité à la fois ordinaire et symbolique, placée sous la protection des divinités, en particulier d’Artémis/Diane. La chasse était liée au pouvoir, à la religion et devait éduquer le jeune romain en lui inculquant les vertus3 indispensables qu’il devait cultiver pour devenir un citoyen.

Il est amusant de noter que cet attrait pour la chasse était parfois mal vu par certains « intellectuels » de la capitale. Jacques Aymard, un historien, spécialiste de l’histoire romaine en parle dans un de ses ouvrages4 : « Mais avec le détachement de plus en plus grand de « l’honnête homme » romain pour la vie de la terre, celle-ci fera figure d’occupation servile. Au mépris du vieux Caton s’ajoute alors celui de l’intellectuel, qui ne veut trouver d’occupation digne de lui qu’au Forum : tel est le point de vue de Salluste, exprimé dans une phrase dédaigneuse du Catilina. »

Quelle ressemblance avec la situation que nous vivons aujourd’hui où les hommes soja-quinoa des métropoles considèrent avec dédain et parfois mépris les « pauvres gueux » qui chassent.


  1. Les venationes étaient des jeux du cirque mettant aux prises des animaux sauvages entre eux, ou des animaux et des hommes, ou encore des simulacres de chasse dans un amphithéâtre dont l’arène était occupée par un décor censé rappeler le milieu naturel d’origine des animaux. ↩︎
  2. Le mont Soracte est une montagne isolée de la vallée du Tibre, de 691 m d’altitude, à 50 km au nord de Rome. ↩︎
  3. Pour les romains la vertu, englobait le courage, l’excellence et la force morale. Ces qualités étaient essentielles dans la vie militaire et civique. Ils pensaient que l’honneur véritable ne pouvait être atteint que par des actions vertueuses, et que le courage était une condition préalable au respect social. Quelle différence avec le monde d’aujourd’hui… ↩︎
  4. Jacques Aymard. Essai sur les Chasses romaines des origines à la fin du siècle des Antonins (Cynegetica).Bibliothèque des Ecoles françaises d’Athènes et de Rome, fase. CLXXI ↩︎

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2 commentaires sur « L’antique villa romaine d’un chasseur passionné »

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