Un superbe livre d’arts vient d’être publié, il s’agit de « La grande cuisine de la chasse » de Esther Ghezzo et Morgan Malka aussi connus sous le nom des Renards Gourmets. J’écris intentionnellement arts au pluriel tant ce livre associe les références artistiques et culturelles aux plaisirs de la table. Les superbes photos y sont tout aussi importantes que les recettes. Non seulement elles subliment le plat proposé mais elles nous incitent à nous plonger dans sa genèse car, pour les auteurs, la cuisine doit être authentique et issue d’un terroir et d’une histoire.
Le livre est, excusez du peu, préfacé par Olivier Nasti, le chef alsacien étoilé, chasseur et passionné de cuisine de gibier, lui aussi.

Un livre d’épicuriens et d’artistes
Esther Ghezzo est la photographe et Morgan Malka le cuisinier, tous deux sont artistes et surtout épicuriens. Leurs réalisations culinaires et photographiques sont une invitation à célébrer la vie, la gourmandise et à prolonger ces plaisirs par une réflexion culturelle, historique et philosophique.
L’ouvrage présente 50 recettes originales de gibier à plume et à poil qui font revivre les plats mythiques des grands personnages de l’histoire mais qui nous présenent aussi des photos dignes des tableaux de grands maîtres de la nature morte. On y trouve des accords met-vin, des conseils culinaires, des anecdotes, des poèmes… tout un univers gastronomique et culturel.

C’est un livre qui met en valeur l’art et la nourriture. En associant ainsi ces deux plaisirs, il donne une véritable définition de l’art de vivre et une autre dimension au livre de recettes. L’ouvrage va, en effet, bien au-delà de l’accumulation de fiches recettes. Pour les auteurs, « la cuisine est une nécessité vitale absolue, un grand plaisir d’épicurien et l’un des marqueurs sociologiques, historique et culturel que nous ayons à disposition. »
Des recettes enracinées
Tout autant que les recettes, les photos et les textes d’accompagnement sont à déguster car ce sont des invitations à aller au-delà de la seule gastronomie. Ils incitent à la mettre en perspective et à plonger dans ses racines, qu’elles soient historiques, culturelles ou géographiques.
Chaque recette est liée par les auteurs à une époque, un personnage historique et un terroir. Le choix du gibier n’est pas anodin. Qu’y a-t-il de plus enraciné que le gibier, sa chasse et sa cuisine qui invite au partage et à la célébration de ce que la nature nous offre si on la respecte.
Chaque recette est aussi liée à une saison. Comme le dit Olivier Nasti, « Un chevreuil d’été, nourri de jeunes pousses, ne se travaille pas comme celui de décembre, marqué par le froid, par la forêt endormie. Il faut prendre en compte son âge, son alimentation, son poids, et jusqu’à la manière dont il a été prélevé. »
Des références artistiques évidentes et revendiquées
Les auteurs puisent leur inspiration artistique chez les grands maîtres français, napolitains et flamands de la nature morte. Cette genre de la peinture a été considérée comme mineur avant que le XVIIème siècle et quelques grands peintres ne lui donne ses lettres de noblesse.
En admirant les photos du livre et celles du compte Instagram des Renards Gourmets, on ne peut s’empêcher d’y voir l’influence d’artistes comme Frans Snyders, Jan Davidszoon de Heem ou Willem Kalf pour les flamands, de Giuseppe Ruoppolo le napolitain et surtout de Jean-Baptiste Monnoyer, ce peintre français du XVIIème siècle.


Les photos du livre, comme les peintures de ces grands maîtres, partent d’un fond obscur qui permet de faire émerger avec beaucoup de force une profusion de couleurs, un agencement soigné des éléments de la composition ainsi que la texture des aliments.
Si l’influence des grands noms de la nature morte est revendiquée par les deux auteurs, j’ai aussi vu une correspondance entre leur travail et le merveilleux film de Gabriel Axel, « Le festin de Babette », inspiré d’une nouvelle de Karen Blixen. Lorsque Babette, la cuisinière française (merveilleusement interprétée par Stéphane Audran) travaille en cuisine, certains cadrages sont très évidemment inspirés des grands maîtres flamands et évoquent instantanément les photos d’Esther Ghezzo.

Les ressemblances ne s’arrêtent pas là, la gastronomie est considérée par les deux auteurs comme un lien et une invitation à la joie de vivre. Dans ce film, Babette, la cuisinière française travaillant dans une austère communauté luthérienne va choquer les habitants avec son dîner extravagant et opulent mais les mets, les alcools servis au cours de ce repas vont apaiser les tensions et les rivalités existantes au sein de cette communauté protestante et le pasteur, pourtant très hostile à ce diner au début, verra quand même dans ce moment un instant de grâce. Peut-on donner une meilleure définition de ce que doit être la cuisine quand elle est faite avec l’intention de partager et de créer de la joie ? C’est ce que font à merveille Esther Ghezzo et Morgan Malka.
Réhabilitons la nature morte !
C’est aussi pourquoi, il est dommage que la nature morte soit ainsi baptisée en français. Dans d’autres langues on préfère l’expression « vie immobile » (still life » en anglais, « stilleben » en allemand, « still leven” en néerlandais), ce qui est à mon goût plus adapté car ces peintures sont des évocations de la vie et de son fragile équilibre.
D’ailleurs Paul Claudel s’était aussi insurgé contre ce dédain à l’encontre de la nature morte et avait écrit à ce propos : « Il était de bon ton de trouver les natures mortes ennuyeuses mais cette appréciation est souvent celle de ceux qui les regardent d’un œil superficiel. Que voyons-nous en effet sur ces toiles qui sont des merveilles de proposition paisible et une réfection pour l’âme plutôt que pour l’imagination physique ? Presque toujours, et parfois exclusivement, du pain, du vin et un poisson, c’est-à-dire le matériel du repas eucharistique. […] Il y a un arrière-plan stable et immobile et sur le devant toutes sortes d’objets en déséquilibre. On dirait qu’ils vont tomber. C’est une serviette ou un tapis en train de se défaire, une miche de pain qui se divise comme d’elle-même en tranches, une coupe renversée, toutes sortes de vases ou de fruits bousculés ou d’assiettes en porte à faux. […] La nature morte hollandaise est un arrangement qui est en train de se désagréger, c’est quelque chose en proie à la durée. »
Le livre LA GRANDE CUISINE DE LA CHASSE est édité par les Éditions du Gerfaut. La saison est déjà bien entamée, le gibier et la venaison n’attendent que ces recettes pour prolonger les plaisirs de la chasse. Je vous invite aussi à aller sur les différents comptes des Renards Gourmets pour vous plonger dans leur univers :
https://www.instagram.com/renardsgourmets/
http://www.renardsgourmets.com
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