Joyeuse saint Hubert à tous les chasseurs ! Qui mieux que Dürer pour célébrer cette passion si enracinée dans notre patrimoine européen ?
Dürer, c’est la quintessence de l’art européen, formé au gothique germanique, influencé par les maîtres flamands comme Van Eyck, il part à la découverte de la Renaissance italienne, revient à Nuremberg et sa réputation s’établit dans toute l’Europe. Il s’affranchit des canons de l’art médiéval, s’attache à reproduire la nature aussi fidèlement que possible et donne aux représentations humaines une sensualité nouvelle, influencée par l’art antique redécouvert à la Renaissance.
La ritualisation de la chasse en Europe.
L’homme chasse depuis toujours, d’abord pour se nourrir puis par passion. Pourtant, seule l’Europe a conceptualisé et dans bien des cas ritualisé l’art de la chasse à ce point.
La chasse art de vivre est apparue au moment où l’homme avait suffisamment développé l’agriculture et l’élevage pour ne plus être dépendant de la chasse pour survivre. Ce n’était plus une nécessité vitale mais la pratique était tellement inscrite au plus profond de ses gènes que l’homme a continué de chasser et en a fait un art de vivre. Cela n’a pas touché toutes les civilisations. C’est en Europe que la chasse a été magnifiée et élevée au rang d’art. Cela est aussi vrai dans une moindre mesure chez les Perses et certains peuples nomades de la steppe eurasiatique. La grande différence est que ces peuples nomades, étant en mouvement permanent pour trouver des pâturages et suivre les migrations du gibier, ne pouvaient s’inscrire dans un territoire précis. L’européen, lui, s’est sédentarisé très vite et s’est enraciné dans un terroir. C’est l’alliance de l’enracinement et de la capacité intrinsèque de l’homme européen à produire du beau qui a permis de faire de la chasse cet art de vivre aussi riche.
Ne peut-on voir dans la ritualisation de la chasse une survivance des cultes celtiques à ces divinités zoomorphes dont la plus célèbre est Cernunnos, le dieu-cerf ? Ne faut-il pas voir dans l’admiration que voue le chasseur européen au cerf une survivance du culte qui lui était voué ? En ce qui concerne le sanglier qui, lui aussi, fascine nos chasseurs, n’oublions pas que nos ancêtres celtes partaient à la guerre au son des carnyx, souvent ornés de têtes de sanglier. Ces deux espèces sont encore aujourd’hui le « graal » des chasseurs de grand gibier. Le rituel étant indissociable du spirituel, il y a fort à parier que le cérémonial dont la chasse sait s’entourer lorsqu’elle est bien pratiquée soit en lien avec les cultes de nos ancêtres. Cette transmission, cette longue mémoire ne sont-elles pas une démonstration de cet inconscient collectif dont parlait Carl Gustav Jung ? Il est étonnant et rassurant de constater que le lien avec nos origines peut survivre malgré les vicissitudes de l’histoire.
Une caractéristique européenne
La chasse art de vivre est incontestablement une caractéristique européenne. Pour s’en convaincre, il suffit de visiter la superbe villa romaine du Casale en Sicile construite vers 320 après J.C., elle comporte 3500 m2 de mosaïques dont une grande partie est consacrée à la chasse. Grecs et Romains avaient fait de la chasse une école du citoyen et un art de vivre ; ils nous ont légué de superbes oeuvres d’art à ce sujet et même des traités philosophiques sur l’intérêt de la chasse pour former les citoyens. Je pense en particulier à Xénophon et à son « Art de la chasse ». On peut aussi s’intéresser à la vie de Gaston Phébus, comte de Foix et surtout à son « Livre de chasse » écrit vers 1380, considéré comme une référence jusqu’au XIXème siècle et qui n’a aucun équivalent ailleurs dans le monde. C’est bien ce prince européen qui a ritualisé, étudié, codifié la chasse et nous a laissé un ouvrage majeur à ce sujet.
Cet art de vivre a énormément inspiré les artistes européens, peintres, sculpteurs, écrivains et musiciens. Avec la religion et la guerre, la chasse est sans doute le thème le plus représenté dans l’art européen.
La mesure et le respect
Une des caractéristiques de la chasse européenne est, à mon avis, que le chasseur européen sait et doit faire preuve de mesure à l’inverse de certaines civilisations orientales pour qui la chasse ne se concevait que comme un massacre indistinct. Cette différence fondamentale était déjà notée par Dion Chrysostome, philosophe du 2ème siècle après JC. Celui-ci présente la tradition de l’ascèse cynégétique des Grecs en l’opposant à la chasse perse :
« Grâce à la chasse, le corps devient plus résistant, l’âme plus courageuse, l’aptitude à toutes sortes de combats se développe. Pour la chasse, il est nécessaire de monter à cheval, de courir, d’affronter les assauts de bêtes courageuses, de supporter la chaleur, de résister au froid, de souffrir de la faim et de la soif ; grâce à sa passion, le chasseur devient capable de tout supporter avec plaisir. Il n’en va pas ainsi pour la chasse perse. Les Perses s’enferment chaque fois qu’ils le désirent dans leur paradis, ils abattent les bêtes comme dans une prison, sans se fatiguer, sans courir de risques, face à des animaux débiles et encagés. Et ils perdent ainsi la joie de la découverte, l’excitation de prendre les devants et du combat rapproché. »
Ce n’est pas un hasard si c’est Diane – Artémis qui est chez nous la figure mythologique de la chasse car elle est aussi chargée de protéger la nature. Actéon transformé en cerf pour avoir vue Diane nue au bain est une allégorie du chasseur qui ne sait pas se contenir et est puni pour cela. En Europe, la chasse ne peut se concevoir sans éthique et sans conscience, elle doit être vécue dans les règles. « C’est par la force qu’Artémis défend le royaume inviolable de la sauvagerie. Elle tue férocement les mortels qui, par leurs excès, mettent la nature en péril. Ainsi en fut-il de deux chasseurs enragés, Orion et Actéon. En l’outrageant, ils avaient transgressé les limites au-delà desquelles l’ordre du monde bascule dans le chaos. Le symbole n’a pas vieilli, bien au contraire. » (D. Venner)
Un des traits caractéristiques de la chasse européenne est l’importance que revêt le respect accordé au gibier. Il est matérialisé par la présentation du tableau de chasse qui est un rituel plus ou moins élaboré suivant les pays ou les régions mais qui est indispensable et sert à rappeler aux chasseurs que tout acte de chasse réussi s’inscrit dans une conception organique de notre rapport au vivant. Il est aujourd’hui parfois détourné pour flatter l’égo des chasseurs. Nous devons faire en sorte qu’il reste un symbole de gratitude et de respect.
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Bravo pour cette mise en perspective. La chasse c’est en effet une culture, un rituel et une communion.
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