Un chasseur en 2040

Récit d’anticipation. Le chasseur 2.0, cauchemar ou réalité proche ?

Il est 06h30, Jean-François sort de chez lui pour pour aller chasser avec quelques amis.

A partir de maintenant, il n’est plus Jean-François mais le chasseur 123JK61, enregistré ainsi au Fichier National des Détenteurs d’Armes de Catégories C au titre de la Chasse. Il emporte avec lui son fusil H967-26/J77, une merveille de technologie moderne équipé de toutes les connexions numériques obligatoires, un stock de 10 cartouches numérotées de 5678965 à 5678975 puisqu’il n’a le droit de tirer que 10 cartouches aujourd’hui. En effet, selon la dernière loi en vigueur sur la chasse, il ne peut tirer que 75 cartouches petit gibier et 20 cartouches grand gibier au cours de la saison. Son fusil connecté à l’application gouvernementale MUNCHASS transmet en direct le nombre de coups tirés et devient inopérant au-delà de la limite autorisée. Après trois tentatives pour essayer de contourner cette règle, le chasseur est automatiquement inscrit au fichier FINIADA, son permis de chasse lui est retiré pour 5 ans et il devra repasser les épreuves pratiques pour pouvoir ensuite reprendre la chasse. Cette période de purgatoire servira aussi à lui faire prendre conscience de ses responsabilités de citoyen puisqu’il est contraint de participer à 3 stages de citoyenneté écologique organisés par l’association « La Terre de demain » qui est chargée de remettre dans le droit chemin les personnes aux comportements déviants. Mais le chasseur 123JK61 fera attention, il a déjà été condamné pour ces motifs et ne veut pas renouveler l’expérience. Il faut dire que les chasseurs sont particulièrement mal vus par les membres de l’association et ces stages lui ont plus fait penser à un camp de rééducation qu’à une colonie de vacances.

Il est néanmoins inquiet puisqu’aujourd’hui, ses amis et lui vont passer non loin d’une zone humide (au sens de la Convention de Ramsar), c’est à dire une petite mare, en général à sec du 1er avril au 30 novembre mais elle est néanmoins recensée ainsi dans la cartographie publiée par le département biodiversité de la Commission européenne et validée par le ministère de l’écologie responsable, sociale, solidaire et inclusive. Il est inquiet car l’application et les capteurs de zones humides intégrés dans son fusil ont buggé à quelques reprises au cours de la saison. Il a fallu l’apporter chez l’armurier qui l’a transféré au siège du concepteur de l’application puis chez le fabricant de capteurs. Cela a duré 6 semaines pendant lesquelles le chasseur 123JK61 est redevenu Jean-François puisque privé de chasse. Cette application et les capteurs permettent d’interdire toute arme de tirer à moins de 100 mètres d’une zone humide. Les distances étant difficiles à estimer à l’oeil nu, il faut donc être sûr de son matériel et du software intégré.

Il est mécontent de ces bugs à répétition car la location du fusil pour la saison est plutôt chère. En effet, nul n’est plus autorisé à acheter et à détenir une ou plusieurs armes. Il faut louer auprès du Service Central des Armes – département chasse, son arme pour la saison. Le ministère de l’écologie blabla blabla… a publié son dernier arrêté ; il autorise la location de 8 000 armes de chasse pour les 5 prochaines années. Il faut donc, non seulement avoir passé avec succès les 25 épreuves du permis de chasser mais aussi être tiré au sort parmi les 10 000 chasseurs qui continuent à pratiquer en France.

Avant de partir, il a aussi vérifié que son smartphone était bien chargé car il faudra rester connecté en permanence pour que les applications obligatoires puissent transmettre leurs données au service central chasse du ministère de l’écologie responsable, sociale, solidaire et inclusive. Un dernier coup d’oeil avant le départ : application chasse responsable : OK ; applications munitions : OK ; application gibier autorisé : OK ; application territoire autorisé : OK ; application sécurité promeneurs : OK.

Tout semble en ordre de ce côté-là, il faut ensuite revêtir la tenue obligatoire. Un ensemble haut et bas orange fluo complété par un bonnet, orange aussi, qui incorpore quelques capteurs et qu’il faut porter en permanence même par forte chaleur.

Dernière vérification avant de monter en voiture, le chasseur 123JK61 va souffler dans l’éthylotest intégré à sa veste de chasse dernière génération. S’il n’est pas à 0 grammes, ce résultat est transmis au fusil qui se bloque automatiquement et à sa voiture qui ne peut démarrer. De surcroit, comme il a sorti le fusil du coffre connecté à l’application SÉCUCHASSE, il risque un retrait de permis pour avoir manipulé une arme en étant alcoolisé.

Le chasseur 123JK61 doit maintenant prendre la route et faire une centaine de kilomètres pour rejoindre ses amis et le contrôleur du ministère de l’écologie sociale, solidaire et inclusive qui les accompagnera aujourd’hui comme c’est le cas trois fois par an. Amis est un bien grand mot, ce sont les seuls chasseurs qui subsistent dans la région et comme la chasse individuelle est proscrite, il lui a bien fallu s’accommoder de ce groupe. Aucun n’est vraiment passionné de chasse, deux sont des informaticiens plus intéressés par les systèmes numériques intégrés que par la poursuite du gibier ; seul un est un peu comme lui, un nostalgique des temps passés et des récits de chasse des anciens. Lorsqu’ils évoquent ces temps bénis, ils s’isolent car il est mal vu d’en parler et tout le monde sait que le tirage au sort annuel qui permet de louer une arme est pondéré par votre score écologique et social qui prend en compte votre adhésion aux directives du ministère.

Malgré tout cela, Jean-François entend bien profiter de ses deux dernières années de chasse car elle sera définitivement interdite en 2042. La Commission européenne et le ministère de l’écologie sociale, solidaire et inclusive auront alors terminé les tests des robots connectés destinés à réguler les populations de grand gibier.