Non ce n’est pas un cerf dopé d’un parc hongrois ou néo-zélandais. Il a été chassé il y a plus de 300 ans par le prince électeur de Brandebourg dans les environs de Sauen, un petit village situé près de la frontière polonaise. Cet exploit cynégétique et ce trophée exceptionnel font partie de la grande histoire de la chasse.

Un cerf hors normes

Le 18 septembre 1696, le prince électeur de Brandebourg, le futur Frédéric III de Prusse, est sur la trace d’un cerf fabuleux qui lui a été signalé par les paysans de la région. Il part donc accompagné d’un guide, Andreas Siebenbürger et, au bout de trois jours de quête, rencontre le bel animal qu’il tire lors de la saison du brame.

L’animal est majestueux, il fait 66 cors soit 33 andouillers de chaque côté et pèse 250 kg. Le prince est tellement enthousiaste qu’il offre une propriété à son guide et fait ériger un monument commémoratif sur les lieux de la chasse. Le trophée est ensuite installé dans son château. Le récit de cette chasse et la qualité de ce trophée exceptionnel ont fait le tour des princes allemands et sont arrivé jusqu’à Berlin.

Il faut quand même noter que, selon les règles de cotation actuelles, ce trophée ne ferait que 27 cors car seuls les andouillers de plus de 2 cm sont comptabilisés. A l’époque, la cotation des trophées était moins rigoureuse qu’aujourd’hui et chaque prince voulant absolument détenir un record, il est probable que les cotateurs du XVIIème siècle aient été indulgents avec ceux-ci.

D’ailleurs, savez-vous pourquoi on parle de cors ? La tradition veut qu’un andouiller ne soit pris en compte que si l’on peut y accrocher un cor de chasse.

Une pièce d’orfèvrerie pour marquer l’évènement

Ne s’arrêtant pas là pour célébrer son haut fait cynégétique, Frederik III demande à un joailler de réaliser un gobelet en argent et vermeil figurant l’animal. Sous le pied de cette pièce d’orfèvrerie on trouve une inscription résumant les péripéties de la chasse. La tête du cerf est amovible et sert de couvercle au gobelet qui fait 30 cm de haut et pèse 3,5 kg. Cette pièce superbe a disparu pendant près d’un siècle pour réapparaître en 1902 entre les mains de Guillaume II, empereur d’Allemagne. En 2017, il a été vendu aux enchères chez Sotheby à Londres pour une somme de 2,3 millions de livres. Encore un record pour ce cerf exceptionnel !

Échangé contre une compagnie de grenadiers

En 1728, le prince électeur de Saxe, Auguste II, prince-électeur de Saxe et roi de Pologne visite le Brandebourg, il est reçu par le fils de Frederik III. Les deux hommes sont chasseurs et l’hôte organise une chasse mémorable pour son invité. A l’issue de celle-ci, lors du dîner, un toast est porté avec ce fameux gobelet. Le prince de Saxe demande à son hôte de lui céder ce fabuleux trophée. Il va jusqu’à proposer une compagnie de grenadiers en échange.

« Si votre altesse me cède la tête du grand cerf à bois de soisxante-six pointes, je l’autoriserai à lever sur mes États une compagnie de grenadiers. »

Un accord est trouvé et le trophée est installé dans sa nouvelle demeure, le château de Moritzbourg. Celui-ci date de 1542 et a été entièrement reconstruit en 1703 par Auguste II dans le style  baroque pour en faire une résidence de plaisance et un pavillon de chasse. Les trophées sont partout présents dans ce château complètement dédié à la chasse. Le trophée exceptionnel est placé au dessus d’une porte qui donne accès à une salle entièrement consacrée aux têtes bizardes collectées au cours des générations par la famille de Saxe.

Si vous alez vour promener ou chasser en Allemagne, sachez que le château de Moritzbourg peut se visiter et que vous pourrez y voir ce fameux trophée.

https://www.schloss-moritzburg.de/en/home/


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5 commentaires sur « Un cerf allemand de 66 cors ! »

  1. Cher Denis,

    Un grand merci pour cet exposé passionnant, ce cerf est plus mythique par son histoire incroyable qui a traversée les âges, que par son trophée lui même. Il est étonnant de voir qu’un simple trophée de chasse, si incroyable fut il, ait pu générer autant de passions….

    Petite précision, pour qu’un cors ou épois compte aujourd’hui en cotation CIC, deux conditions sont à réunir, qu’il mesure plus de 2 cm et que sa longueur (hauteur) soit plus importante que sa base, ce qui dans le cas présent complexifierait encore plus les choses…..

    Amitiés de Bretagne

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    1. Cher Philippe, merci de ce commentaire sympathique et instructif. Il va falloir que j’améliore ma culture en ce qui concerne la cotation. je suis un ignare presque total à ce sujet.Je pense que ce trophée ne serait pas coté 66 cors aujourd’hui mais son histoire est tellement emblématyque d’une époque et d’une région. La chasse était plus qu’un art de vivre, c’était une culture dans ces terres germaniques.
      Amitiés du sud

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  2. Bonjour Monsieur,
    Votre article est très intéressant. Existe-t-il des sources officielles pour l’histoire de ce trophée (je n’ai trouvé qu’une référence sur le site https://www.lecho.be). En effet, ce dernier (« cerf 66 cors ») est évoqué à 2 reprises dans le livre de Alain François, Les Têtes bizardes du cerf. Page 134 : avec une photo dont il n’existe aucune trace sur internet, et sous-titrée : Cerf 66 cors tiré le 18 septembre 1696 par le futur roi de Prusse, Frédéric 1er. Cette photo ne correspond pas au trophée du château de Moritzbourg. Il s’agit d’un massacre classique monté sur un écusson de bois. La plaque située sous l’écusson est illisible sur la photo. Un peu plus loin, sur une page consacrée aux cerfs de ce château, une photo est sous-titrée : le célèbre faux 66 cors tiré en 1793. Cette dernière photo correspond au sujet de votre article (cerf à deux couronnes plates et palmées dont les bois sont montés sur une tête en bois doré).
    Le cerf de Moritzbourg est par ailleurs évoqué :
    -dans le classique Verlinden/de Janti (page 42), avec une description qui semble correspondre aux photos de Moritzbourg (« 2 couronnes plates, de 22 et 23 pointes. Chose étonnante, son poids n’est que de 5,5 kilos »
    -dans le « Comment juger un cerf » de Karl Lotze : page consacrée aux empaumures palmées (82) : « Ce 66 cors historique de Moritzburg, dont l’empaumure anormale fut soi disant suscitée artificiellement, est au contraire de formation naturelle, comme le démontrent les dessins ci-contre ». Suivent sur la page suivante des dessins de ce cerf et d’exemples d’autres cerfs de ce type (allemands). Le dessin du 66 cors correspond aux photos de Moritzbourg.
    Pouvez-vous éclaircir pour moi ces points ?
    Je suis intéressé par ce sujet, ayant connaissance d’un cerf à couronne de ce genre.
    Je vous prie de croire en l’expression de ma considération.
    David L B, Carnac, Morbihan.

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