« J’ai besoin de chasser la tourterelle » dit la marquise de Sévigné dans une lettre à sa fille. Quel changement chez cette dame qui écrivait peu de temps auparavant « Que ne laissent-ils les tourterelles à leurs bois et à leurs amours ? » La célèbre marquise nous raconte comment elle est passée d’anti-chasse à chasseresse passionnée.

La marquise est devenue célèbre pour ses innombrables écrites à sa fille, la comtesse de Grignan. C’est à travers certaines de celles-ci que nous pouvons assister à sa conversion. La chasse est une passion contagieuse !

Histoire d’un voyage dans le bordelais

C’est un voyage dans le bordelais au printemps 1670 qui va bousculer les certitudes de madame de Sévigné. Elle va ainsi découvrir les vins de Bordeaux, la gastronomie régionale mais aussi la chasse à la tourterelle fort prisée de l’aristocratie locale. Comme beaucoup d’anti-chasse d’aujourd’hui, madame de Sévigné est remplie de préjugés à l’encontre d’une pratique dont elle ignore tout et à l’encontre des gens qui s’y adonnent.

« A ce qu’on dit, ces gens viennent tous les mois de mai au tir de la tourterelle. Je vous avoue que j’aurais quelque honte à voir mon fils lier relation avec des gens si cruels. Que ne laissent-ils les tourterelles à leurs bois et à leurs amours ? Dieu n’a pas créé un tel oiseau pour la poudre. »

Le séjour de la marquise se prolonge et le discours de la célèbre épistolière commence à changer :

« Les gentilshommes dont je vous entretins sont, par ma foi, de commerce agréable pour tuer des tourterelles. C’est pour moi un grand sujet d’étonnement. Croiriez-vous qu’il nous fut fait don d’une part de leur chasse ? Au demeurant elles ne sont point grasses comme celles que nous engraissons à Buron. Je me réserve avec mon fils de les faire accommoder au thym et à la marjolaine. »

Au contact des chasseurs, madame de Sévigné en apprend beaucoup sur le bel oiseau. Elle découvre le phénomène de la migration dont elle ignorait tout et on lui apprend que c’est à l’occasion de celle-ci que la chasse se pratique.

« On peut à ces moments tuer de grandes quantités dans une même matinée. Cinq, dix, vingt par chasseur, pensez-vous ? Nenni ! Donnez-vous votre langue au chat ? Ce sont des centaines que l’on peut abattre par jour faste avec de bons vents venant du nord. […] J’avoue que je prends intérêt à la chose et que ces chasseurs de tourterelles ne sont pas si mauvais qu’on le croit.« 

La magie continue d’opérer. La lettre du 6 mai en est une preuve éclatante : « J’avais un besoin de repos qui ne peut se dire, j’avais besoin de manger, besoin de dormir. Maintenant, j’ai besoin de… Vous êtes à cent lieues de deviner ? J’ai besoin de… n’en perdez pas le sens. J’ai besoin de chasser la tourterelle.« 

La marquise est invitée à chasser dans un pylône

Et c’est ce qu’elle fait aussitôt en participant à une chasse à la pointe de la Grave. Elle est impressionnée par l’organisation quasi militaire de la chose : « De la première voiture jaillit le général. D’un doigt décisif, en quelques secondes, chacun a sa place désignée. »

« Le poste n°1 nous échoit, mon fils délire. Le général nous quitte sur un « Messieurs tirez droit ». Si j’eus été un tireur, mon sang se fut gelé tout net dans mes veines. […] Entre les pins et jusqu’à leurs cimes, se dresse une manière de construction. En langage du pays, on l’appelle « pylône ». Il nous faut y monter. […] Alors se produit l’étrange révélation. Le spectacle d’un nouveau monde s’offre à nos yeux : brusquement isolés dans une mer inconnue jusqu’alors, nous voici noyés dans les vagues ondoyantes des têtes de pins. […] Une respiration parfumée exhale de ces immenses horizons, enivrés nos poumons empuantis de Cour. »

« Quelques coups de feu partent dans le Sud. les premières tourterelles se sont lancées. En effet, bientôt palpitant et roulant sous l’ondulation frémissante de la forêt, de minuscules boules roses nous apparaissent la poitrine pleine de soleil. Les voila !« 

 » Pendant les premières heures du jour, c’est sans cesse que défilent, passent, nous chargent, venant du Sud, des milliers d’oiseaux. Charles (NDR : le fils de la marquise) connait une mauvaise fortune. Je ne m’explique guère sa maladresse car, dans les chasses de Monsieur, il a toujours bien tenu sa place. »

A l’issue de cette journée le général fait remarquer au jeune Charles qu’il a fort mal tiré ; il n’en fallait pas plus que pour l’honneur de la marquise soit piqué au vif. Elle écrit donc immédiatement à sa fille pour qu’on lui fasse parvenir dans les plus brefs délais le fusil habituel de Charles ce qui devrait lui permettre d’avoir de meilleurs résultats. L’honneur du nom est en jeu !

Les armes de l’époque

Les lettres de madame de Sévigné écrites à l’occasion de ce voyage nous permettent d’apprendre des choses intéressantes à propos des armes utilisées à l’époque pour cette chasse.

On y apprend, en particulier que nos gentilshommes chasseurs utilisaient déjà un dispositif qui pourrait être l’ancêtre du choke si communément utilisé de nos jours.

« Les deux fils de notre générant chacun de très curieuses escopettes qui, dit-on, font merveille à ce tir. […] Jamais vous n’imagineriez semblables espingoles, telles qu’elles peuvent tirer cinq fois avant même que vous eussiez dit « Ite Missa est ». Le général, semblablement équipé, a au bout de son canon, le croiriez-vous ma chère enfant , un mystérieux appareillage qui, à volonté, disperse le plomb ou en fait une vraie balle. Cette invention vient des Amériques. »

Nous apprenons aussi que l’un des chasseurs « a tiré dans la journée mille deux cents coups. » Tirer autant avec un fusil à silex paraît énorme. Faut-il y voir la part de l’exagération classique chez les chasseurs ?

“On ne ment jamais tant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse.” disait Clémenceau…

Fusil de chasse à silex du XVIIIème siècle

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