Les récentes assemblées générales des fédérations départementales de chasse ont été l’occasion de mettre encore une fois en lumière les problèmes financiers causés par les indemnisations des dégâts du grand gibier. Les coûts continuent d’augmenter, le nombre de chasseurs est en baisse, les mesures annoncées à grand renfort de publicité donneront-elles des résultats ?

Le système actuel date de 1968 et il est à bout de souffle. Il va falloir le changer mais sans tomber dans la facilité et en évitant les pièges qui pourraient porter un coup fatal à la chasse française.

Un peu d’histoire

La question des dégâts causés par le gibier n’est pas récente. Après la révolution et l’abolition des privilèges, le gibier devient res nullius (chose qui n’appartient à personne). Le contentieux juridique à ce sujet commence presque immédiatement à encombrer les tribunaux.
Dans un arrêt du 11 août 1807, la Cour de cassation pose comme principe en la matière que, selon l’article 1383 du Code civil, « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. » Mais c’est à la victime des dégâts de prouver que ceux-ci sont du fait du détenteur du droit de chasse. Cette preuve est difficile à apporter, on compte 19 propositions de lois de 1887 à 1925 essayant chacune d’apporter une solution satisfaisante à ce problème.

C’est une loi du 10 mars 1930 qui fixera quelques grands principes mais ceux-ci ne concernent que les dégâts causés par les lapins de garenne. À l’époque, c’était la « bête noire » des agriculteurs.
Pour que la demande d’un agriculteur soit jugée acceptable au titre des articles 1382 et 1383 du Code civil, il devait apporter la preuve que le détenteur du droit de chasse :

  • avait commis une faute, une imprudence ou une négligence ;
  • qu’il existait un dommage appréciable ;
  • qu’il y avait un lien de causalité entre la faute et le dommage conformément à l’arrêt du 11 août 1807.

L’évolution au cours des dernières décennies

1968 : l’année des bouleversements. Barricades étudiantes en mai et loi de finances du 27 décembre qui réforme le code rural et supprime le droit d’affût. Les chasseurs sont contraints de payer les dégâts causés par le grand gibier. C’est ce qui fonde le système actuel.

2000 : la loi chasse du 26 juillet, dite loi Voynet, confie aux FDC (à leur demande, il ne faut pas l’oublier) la charge de l’indemnisation des dégâts de grand gibier1. Cette loi crée aussi la Fédération Nationale des Chasseurs et en fait un acteur de l’indemnisation des dégâts puisqu’une cette loi instipule qu’une cotisation lui est versée par chaque fédération départementale en fonction du nombre de ses adhérents2 et prévoit qu’une contribution doit être payée par les chasseurs de grand gibier titulaires d’un permis national.

Désormais, les FDC sont chargées de la mise en œuvre d’un fonds départemental d’indemnisation sous le contrôle du préfet3, car il s’agit d’une mission de service public. Le principe posé par la loi est que, dans le cas de dégâts causés aux cultures ou aux récoltes, l’agriculteur peut réclamer une indemnisation à la fédération départementale des chasseurs. Le fonds est dédié aux seuls agriculteurs, ce qui exclut les propriétaires forestiers et les particuliers.

2019 : loi du 24 juillet étend la contribution territoriale sur laquelle repose l’indemnisation des dégâts de gibier. Il s’agit de taxer les titulaires de droit de chasse sur les zones ayant beaucoup de dégâts. Cette contribution est ainsi due par tous les territoires de chasse et donc indirectement par tous les chasseurs.

2023 : signature d’un accord avec le monde agricole et annonce d’un protocole d’accompagnement financier par l’État : 80 millions d’euros dont 20 millions pour le plan de résilience en 2022 et 60 millions pour l’accompagnement pendant 3 ans.

Le système actuel

Il est régi par l’article R426-10 du code de l’environnement modifié par décret n°2013-1221 du 23 décembre 2013 – art. 14

Qu’appelle-t-on dégâts dégâts de grand gibier ?

Ce sont les dégâts causés par les sangliers, chevreuils, cerfs élaphe, cerfs sika, daims, chamois, mouflons et isards aux cultures, clôtures, pelouses ou autres aménagements.

Qui paie les dégâts ?

Le Code de l’environnement permet aux agriculteurs victimes d’obtenir une indemnisation. Celle-ci couvre des dégâts ayant entrainé une perte de récolte ou nécessitant une remise en état des champs, clôtures etc. La fédération départementale compétente supporte la charge de l’indemnisation. Les particuliers et les exploitants forestiers ne bénéficient pas de cette procédure. 

Quelles sont les conditions d’indemnisation des dégâts ?
  • Être exploitant agricole
  • Le grand gibier doit avoir causé les dégâts et ne pas provenir de son propre terrain. Ainsi, si le sanglier ou le gibier provient par exemple d’une forêt dont la victime est propriétaire, aucune indemnisation n’est possible.
  • Les dégâts subis doivent avoir porté sur plus de 3% de la surface totale de cultures ou récoltes détruites ou dépasser 230 €.
  • L’exploitant victime doit avoir récolté avant la date extrême d’enlèvement et après le passage de l’estimateur.
Quels dommages donnent droit à des indemnités ?

Ouvrent droit à réparation les pertes directes c’est-à-dire les dégâts causés aux cultures :

  • aux inter bandes de cultures pérennes ;
  • aux filets de récoltes agricoles ;
  • aux récoltes agricoles.

Les équipements et le matériel (grillage, matériel d’arrosage…) ne sont pas concernés.

Comment sont calculées les indemnités ?

Un arrêté préfectoral fixe un barème d’indemnisation. Il dépend du type de dégât subi. Un abattement de 5% s’applique ensuite. La Fédération peut réduire l’indemnisation si elle estime que la victime a favorisé la présence de gibier en ne prenant pas les mesures nécessaires pour protéger ses cultures (clôture électrique, etc).

Un système à bout de souffle

Personne n’imaginait en 1968 que les populations de grand gibier auraient un tel essort et que cela deviendrait un fardeau pour les chasseurs français.

La situation actuelle (voir le bilan établi par la FNC en juin 20244) est que les indemnisations coûtent environ 80 millions d’euros chaque année, que le nombre de chasseurs diminue, ce qui revient à faire porter une charge financière de plus en plus lourde à de moins en moins de personnes. La participation de chaque chasseur à l’indemnisation augmente donc d’année en année, le coût relatif aurait été multiplié par cinq en trente ans !

Cela met en danger la chasse populaire qui est un marquant identitaire fort de la chasse française.

Certaines FDC sont exsangues et n’ont plus les fonds nécessaires pour entreprendre quoique ce soit d’autre. Ceci porte un coup fatal aux projets destinés, par exemple, à revitaliser la chasse du petit gibier, aux formations indispensables à une chasse moderne ou aux études scientifiques permettant de combattre les interdits et restrictions venant de l’UE et de nos opposants.

A titre d’exemple, dans l’Allier, la facture des dégâts agricoles a atteint 715.000 € pour la saison 2023-2024. La fédération a dû augmenter le prix du timbre grand gibier qui passe de 4 à 15€, elle va aussi mettre en place une contribution territoriale pour les communes touchées par les dégâts.

La « boite à outils sangliers » voulue par la FNC permettra-t-elle de résoudre cette équation aux multiples inconnues ? Rien n’est moins sûr compte tenu de l’explosion démographique de ces animaux. On peut aussi se demander si la mise en oeuvre des mesures contenues dans cette boite à outils ne va pas transformer la chasse en une régulation froide, technocratique et sans âme.
Contrat d’objectif, utilisation de la chevrotine, tir à poste fixe autour des parcelles ou sur point d’appât, extension de la période de chasse… À quand les indicateurs de progrès, les indicateurs d’étapes, la désignation des bons et mauvais élèves, les pénalités financières ? Est-ce vraiment la chasse que nous aimons ? Avons-nous envie de devenir des gardes-faune à l’image de ceux du canton de Genève ?

La solution de facilité

Certains, dans le monde fédéral semblent choisir la facilité en appelant l’État à la rescousse. Attention danger ! Cela présente peu d’avantages, pas mal inconvénients et beaucoup de risques.

Les avantages : impliquer l’État en lui demandant une participation financière soulagera rapidement les FDC. Cela pourrait aussi faire prendre conscience aux décideurs des ministères que le problème est important et que le système actuel n’est plus viable.

Les inconvénients : c’est bien connu, l’État est mauvais payeur et ses promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Il lui suffira d’arguer de contraintes budgétaires importantes, d’une situatioin internationale imprévue, d’une crise financière pour que ces versements soient interrompus. L’indemnisation des dégâts du grand gibier n’est pas parmi les priorités d’un gouvernement et c’est bien normal. D’ailleurs, il semble que cela se soit vite vérifié puisqu’il paraît que la FNC n’a pas reçu l’ensemble des fonds promis alors même que l’accord impliquant l’État est plutôt récent.

Les risques : le risque le plus important est que la chasse perde son âme et que les chasseurs perdent leur indépendance. C’est bien connu, c’est celui paie qui dicte ses conditions. A l’inverse, quand on fait la manche on ne peut plus rien exiger. Si jamais l’État devait prendre en compte sur le long terme les coûts liés au grand gibier, il aura des exigences. Celles-ci risquent d’être lourdes de conséquences. On peut en avoir un avant-goût avec les méthodes utilisées par l’ONF dans le Nord-Est de la France. Voulons-nous devenir des régulateurs ou rester des chasseurs ?

A l’évidence, il faut trouver une autre solution.

Faire participer les territoires non chassés

Selon la FNC, il y aurait en France 30% de territoires pas ou peu chassés. Ces zones deviennent des refuges pour le grand gibier ; il est anormal que leurs propriétaires ne participent pas à l’indemnisation des dégâts. Contrairement à ce que disent nos opposants, les chasseurs ne sont pas responsables de l’augmentation des populations de grand gibier et les dégâts commis sur les cultures ne sont pas causés que par des animaux qui viennent de territoires chassés.

Impliquer les propriétaires de territoires non chassés est la solution. Elle soulagera les FDC, ne fera pas courir le risque à la chasse française de devenir dépendante des injonctions de l’État et impliquera l’ensemble des propriétaires qu’ils soient privés ou publics. Imaginez que l’ASPAS participe au titre de ses « réserves de vie sauvage » ou que Luc Besson soit enfin contraint de payer ce qu’il doit… Ce serait assez jubilatoire !

C’est le constat fait par le président de la FDC de l’Allier qui déclare : « Nous voudrions mettre face à leurs responsabilités financières les gens qui refusent la chasse. Pour la première fois, la fédération de l’Allier intente une action judiciaire contre un refuge sans chasse, à Urcay. »

La loi prévoit des mécanismes qui pourraient être utilisés.

L’article L 425-5-1 du Code de l’environnement est clair : « Lorsque le détenteur du droit de chasse d’un territoire ne procède pas ou ne fait pas procéder à la régulation des espèces présentes sur son fonds et qui causent des dégâts de gibier, il peut voir sa responsabilité financière engagée pour la prise en charge de tout ou partie des frais liés à l’indemnisation mentionnée à l’article L. 426-1 et la prévention des dégâts de gibier mentionnée à l’article L. 421-5

Lorsque l’équilibre agro-sylvo-cynégétique est fortement perturbé autour de ce territoire, le représentant de l’Etat […] peut notifier à ce détenteur du droit de chasse un nombre d’animaux à prélever dans un délai donné servant de référence à la mise en œuvre de la responsabilité financière mentionnée au premier alinéa.« 

En résumé, si un territoire n’est pas ou peu chassé, il peut être contraint de participer à l’indemnisation des dégâts et peut se voir imposer de prélever un certain nombre d’animaux.

La responsabilité du propriétaire du fonds dont le gibier cause des dommages au fonds voisin peut aussi être engagée sur le fondement de la responsabilité délictuelle5.
Mais la jurisprudence exige de prouver non seulement que le gibier s’est développé sur le territoire du propriétaire en cause, de manière excessive, et que les animaux proviennent bien de son terrain, ce qui est difficile lorsqu’il s’agit d’animaux sauvages6, mais également que les dégâts causés sont la conséquence directe de la négligence, de l’imprudence ou de la faute du propriétaire7. La cour de cassation juge qu’il faut prouver l’insuffisance des mesures de destruction du gibier prises par le propriétaire ou une protection excessive des animaux8.

La difficulté réside donc dans le fait que, selon la justice, c’est aux chasseurs de prouver que les animaux qui commettent les dégâts proviennent de ces territoires non chassés. C’est ce qu’avait jugé la cour d’appel de Caen lors de l’affaire qui opposait la FDC de l’Orne à Luc Besson. Selon les juges, les chasseurs n’ont pas démontré « que la prolifération des cervidés sur le domaine appartenant à M. Besson est à l’origine des dégâts (…) et que les dégâts constatés proviennent de cervidés présents en trop grande quantité sur la parcelle de M. Besson. »

Il faut donc que les FDC utilisent tous ces outils juridiques existants et qu’elles soient aussi capables de fournir des dossiers rigoureux et inattaquables. Pourquoi ne pas équiper certains animaux de colliers GPS dans les secteurs litigieux et avoir ainsi un suivi de leurs déplacements ? Les FDC du Tarn et Garonne et de la Haute-Garonne avaient équipés plusieurs sangliers, c’est donc techniquement possible. Généraliser ces suivis permettrait de prouver que les animaux responsables de dégâts trouvent bien refuge à tel ou tel endroit.

Il faudrait aussi faire en sorte que les chasseurs n’aient plus à prouver que les animaux commettant les dégâts viennent bien d’un territoire précis. Il faut donc que la loi évolue pour que nous n’ayons plus cette charge de la preuve et que ce soit au propriétaire du territoire de prouver que les animaux qui sont chez lui ne sont pas responsables des dégâts. Il faut donc se lancer dans un lobbying auprès des parlementaires pour qu’une proposition de loi en ce sens soit votée et adoptée. En avons-nous la capacité ?


  1. Article L 421-5 du Code de l’environnement : « Les FDC conduisent des actions de prévention des dégâts de gibier et assurent l’indemnisation des dégâts de grand gibier dans les conditions prévues par les articles L. 426-1 et L. 426-5 ».
    Article L 421-888 : « Les adhérents sont également redevables des participations éventuelles décidées par la fédération pour assurer l’indemnisation des dégâts de grand gibier, en application de l’article L426-5 ». ↩︎
  2. Article L 421-14 « Elle (FNC) gère dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, un fonds dénommé Fonds cynégétique national assurant (…) la prévention et l’indemnisation des dégâts de grand gibier par les fédérations départementales des chasseurs. Ce fonds est alimenté par des contributions obligatoires acquittées par les fédérations départementales des chasseurs ainsi que par le produit d’une cotisation nationale versé à la Fédération nationale des chasseurs par chaque chasseur de grand gibier ayant validé un permis de chasser national. » ↩︎
  3. Article L.421-10 : « Le préfet contrôle l’exécution des missions de service public auxquelles participe la fédération départementale des chasseurs. (…) Si le préfet constate, après avoir recueilli les remarques du président de la fédération, que le budget approuvé ne permet pas à celle-ci d’assurer ses missions d’indemnisation des dégâts de grand gibier et d’organisation de la formation préparatoire à l’examen du permis de chasser, il procède à l’inscription d’office à ce budget des recettes et des dépenses nécessaires ». ↩︎
  4. Bilan et constat des dégâts de grand gibier en France – Situation au 17 juin 2024 (document FNC) ↩︎
  5. Article 1382 et 1383 du Code civil. « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer » (Art. 1382 C. civ.) ↩︎
  6. Cour de cassation, deuxième chambre civile, 1er juin 1972 ; Cour de cassation, deuxième chambre civile, 19 mars 1997, n° 95-14.677 ; Cour de cassation, deuxième chambre civile, 28 mars 1990, n° 89-12.646. ↩︎
  7. Cour d’appel de Paris, 13 décembre 2004, n° 03-16.881 ; Cour de cassation, deuxième chambre civile, 5 juin 1964, 14 octobre 1992. ↩︎
  8. Cour de cassation, civile, 4 janvier 1974 ; Cour de cassation, deuxième chambre civile, 21 juillet 1992, n° 91-13.823, Cour de cassation, deuxième chambre civile, 18 septembre 2003, n° 02-14.638 ↩︎

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2 commentaires sur « Dégâts grand gibier, quelle solution ? »

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