Article rédigé par le docteur Jean-Claude RICCI. Ancien directeur scientifique de l’Institut Méditerranéen du Patrimoine Cynégétique et Faunistique (IMPCF).

Récemment le débat a été relancé par le Ministère de la Transition Ecologique en France sur la règlementation future de la chasse aux oiseaux migrateurs notamment de certaines espèces d’oiseaux d’eau mais aussi de certaines espèces de migrateurs terrestres comme la Tourterelle des bois, la Caille des blés et la Grive mauvis.

Félicitons au passage l’action de la FNC appuyée par de nombreuses associations nationales de chasse spécialisées mais aussi d’agriculteurs et de forestiers pour avoir bloqué l’intention de la Ministre et permis une discussion plus approfondie et plus scientifique sur les mesures à venir concernant la chasse des oiseaux migrateurs en France.

Chacun sait que bien gérer revient à utiliser les intérêts tout en conservant le capital pour l’année suivante.

Pour certaines espèces sédentaires de petit gibier (perdrix, faisan), les calculs sont relativement plus simples puisqu’ils concernent des surfaces de quelques km² (1 km²  = 100ha). On estime au printemps la densité des reproducteurs par des méthodes de comptages validées puis, en été, on évalue le succès reproducteur (nombre de jeunes par adulte) et ainsi on connait la population avant la chasse. On va donc pouvoir estimer les intérêts à prélever (plan de chasse) pour conserver les mêmes effectifs reproducteurs (capital) au printemps suivant sans oublier dans les calculs de soustraire la mortalité hivernale (hors chasse)  connue pour l’espèce et les pertes involontaires dues à la chasse (oiseaux blessés non retrouvés). Selon le principe de subsidiarité du traité de Maastricht chaque état membre prend les mesures de gestion qu’il souhaite pour les espèces sédentaires.

Les oiseaux migrateurs chassables

Les oiseaux migrateurs chassables sont tout autres, ils sont les héritiers d’une sélection naturelle depuis la dernière glaciation sur terre qui a pris fin il y a 11 700 ans. Seuls ceux qui migraient survivaient d’où une sélection de ce comportement stable du point de vue de l’évolution.

Concernant les oiseaux migrateurs on dispose certes de méthodes de comptages (au sol ou par avion) et on sait estimer la reproduction annuelle (nombre de jeunes par adulte). A ce sujet plusieurs associations nationales (ANCGE, CNB,…) en France développent à juste titre auprès de leurs membres la méthode d’analyse des ailes des oiseaux prélevés venant judicieusement compléter les estimations observées sur le terrain.

Mais le problème majeur concernant les oiseaux migrateurs est la surface de leur domaine vital.

En effet, en règle générale, ils se reproduisent au centre et au nord de l’Europe puis migrent en automne vers le sud (migration postnuptiale) pour revenir au printemps sur leur aire de reproduction (migration prénuptiale). Quelques chiffres pour comprendre la difficulté à étudier ces populations: superficie des 28 pays de l’Union européenne : 4,2 millions de km² ; superficie de la Russie : 17,1 millions de km² et superficie du Paléarctique occidental correspondant mieux au domaine vital des oiseaux migrateurs européens : 18 millions de km² du nord du Sahara jusqu’à l’ouest de l’Oural.

Carte de l’écozone paléarctique.

A cette échelle comment faire ? Plusieurs organismes internationaux réalisent ou recueillent les données de comptages auprès des états (EBCC , Wetlands International, Bird Life International, IUCN, …). La Commission européenne s’appuie sur un comité d’experts nommé NADEG (Expert Group on the Birds and Habitats Directives) dont le rôle est consultatif. Ce comité d’experts est aussi appelé TRFB – Task Force on Recovery Birds. Il est chargé depuis 2021 d’examiner la « durabilité » de la chasse des oiseaux migrateurs d’un point de vue scientifique.

Selon les espèces et leur état de conservation, la Commission européenne peut prendre plusieurs mesures : interdiction de la chasse (moratoires par exemple), limitation des prélèvements (PMA = Prélèvement Maximum Autorisé) ou limiter la période de chasse. Cette dernière est déjà fixée par l’article 7.4 de la Directive oiseaux : on ne peut pas chasser une espèce pendant la reproduction et la période de dépendance des jeunes et pendant le trajet de retour vers les lieux de nidification (migration prénuptiale). Cet article s’applique aux 28 états membres de l’Union Européenne.

Chaque état membre peut aussi prendre des mesures règlementaires plus restrictives que celles de la Commission. Un exemple concret : la France a instauré un PMA annuel sur la bécasse des bois à 30 individus par chasseur et par saison selon l’arrêté ministériel du 31 mai 2011. Cette mesure de gestion est loin d’être appliquée dans les 27 autres pays de l’Union Européenne. Est-ce normal ? Est-ce équitable ? Pourtant la bécasse des bois fait partie du patrimoine européen donc est le bien de tous les états membres

Restons sur la notion de PMA qui à cette échelle est la seule mesure permettant un ajustement des prélèvements par la chasse en fonction du statut des espèces. Si pour les espèces sédentaires on connait la méthode de calcul rigoureuse du Plan de Chasse (voir plus haut), en revanche, aucune méthode rigoureuse de calcul pour le PMA des migrateurs. Est-ce normal ? Est-ce équitable ?

Un exemple concret et d’actualité : la tourterelle des bois : un petit pas vers une mesure équitable. Rappelons qu’en France grâce à l’action de l’UNACOM le Conseil d’état a récemment suspendu l’arrêté ministériel de suspension de la chasse de cette espèce.

Après plusieurs années d’interdiction, la Commission européenne suite à la réunion du 01-04-2025 a décidé de ré autoriser la chasse de la tourterelle des bois sur le couloir de migration occidental. Le quota proposé correspond à 1.5% des effectifs de migrateurs traversant chaque pays : Espagne : 106 920 ; France : 10 560 ; Italie : 924 et Portugal : 13 596 oiseaux.

Le NADEG a accepté cette proposition mais on ignore qui a suggéré les 1.5% des effectifs migrateurs et quel mode de calcul a été utilisé.

Pour la caille des blés en France on semble s’orienter vers un PMA de 15 oiseaux sans trop connaitre non plus le mode de calcul. Ne doutons pas que la dynamique association nationale ANCC saura faire des propositions équitables.

Ces deux espèces migratrices, l’une de la famille des Gallinacés et l’autre des Colombidés, ont un point commun celui de se reproduire en Europe et d’hiverner en Afrique sahélienne. Selon la Commission européenne leur état de conservation en Europe est à surveiller d’où les mesures concernant leur chasse. Mon objection majeure à cette position est l’ignorance de l’évolution des effectifs nicheurs en Afrique du nord (Algérie, Maroc et Tunisie) qui ont investi depuis au moins deux décennies des sommes colossales pour irriguer leurs terres agricoles devenues ainsi plus accueillantes pour la reproduction de ces deux espèces. On ne dispose d’aucun comptage pour ces trois pays qui se trouvent justement sur le trajet printanier entre l’Afrique sahélienne et l’Europe. Espérons que les instances internationales et notamment la FACE pour les chasseurs s’inquiéteront de cette lacune à l’échelle du Paléarctique occidental. Les prélèvements par la chasse sont un des facteurs mais la qualité des habitats des espèces en est un encore plus important.  Les oiseaux migrateurs chassables sont un patrimoine européen qui devrait être géré de manière équitable, au moins au sein de l’Union européenne.

Les turdidés

Terminons par une autre famille d’oiseaux migrateurs celle des Turdidés dont 5 espèces sont chassables : merle noir, grive musicienne, grive draine, grive litorne et grive mauvis.

Au moins une de ces espèces peut être chassée dans seulement 10 pays de l’Union européenne selon la synthèse de Hirschfield et Heyd de 2005 (Chypre, Espagne, Estonie, France, Grèce, Italie, Malte, Roumanie, Portugal, Suède). Parmi ces pays  seuls 7 sont autorisés à chasser la grive mauvis à l’exclusion de l’Estonie, la Roumanie et la Suède. Selon la même synthèse la Grive mauvis arrive en 3ème place (14%) des prélèvements réalisés dans l’UE loin derrière la grive musicienne (49%) et le merle noir (22%).

Une remarque mineure mais qui a son importance néanmoins : la grive musicienne arrivant en tête des prélèvements en Europe est classée en excellent état de conservation en Europe tant par l’UICN que par le BLI. En revanche en Grande Bretagne où elle n’est pas chassée elle est classée en déclin attribué à la diminution significative de son habitat de reproduction.

Le Ministère voulait être plus restrictif que la Commission européenne.

Récemment le Ministère de la Transition Ecologique a souhaité instaurer un moratoire pour la grive mauvis (diminution des périodes de chasse et PMA) en allant plus loin que les recommandations de la Commission européenne et du NADEG. Certes l’espèce est citée à l’article 12 (espèces à surveiller) de la Directive oiseaux qui rappelons-le, date de 1979 (1979/409/CE) et revue en 2009 (Directive 2009/147/CE) il y a donc 16 ans.

Depuis on dispose récemment de la synthèse du BLI de 2021 qui note un accroissement de 1 million des effectifs reproducteurs entre 2015 (20 millions) et 2021 (21 millions).

Aussi récemment l’UICN classe cette espèce en Europe en catégorie LC = Least Concern = préoccupation mineure. On aimerait comprendre pourquoi le ministère voulait être aussi restrictif. Il serait souhaitable que l’on s’appuie sur les résultats scientifiques. C’est dans ce sens que la dynamique Association Nationale de Défense des Chasses Traditionnelles à la Grive1 (ANDCTG) est en train d’œuvrer pour les Turdidés.

Le NADEG dans son intervention de 2025 souligne le fait que la grive mauvis se reproduit en grande partie à l’extérieur de l’UE. En effet selon le BLI, la Russie accueille 75% des effectifs reproducteurs européens. Les 25% autres sont produits par les pays scandinaves et les républiques baltes. Donc souhaitons que les ornithologues russes disposent de suffisamment de moyens humains et financiers pour réaliser les comptages au printemps sur 17.1 millions de km² leur permettant aussi de compléter les sites de comptages plus au nord du fait du réchauffement climatique. 

Par ailleurs pour la grive mauvis, le Ministère a  récemment ressorti  un vieil argument infondé : celui de la diminution des effectifs de l’espèce en hivernage en France. D’une part la variation des effectifs hivernants d’une espèce n’a jamais permis de traduire l’état de conservation (ce sont les effectifs reproducteurs au printemps qui le permettent). D’autre part l’explication a été définitivement apportée par le Muséum National d’Histoire Naturelle  dans un article scientifique de Rivalan et al (2006) publié dans la revue Global Change Biology (12) : 1-13 : l’explication est le réchauffement climatique. Désormais les oiseaux hivernent plus fréquemment plus au nord.

Il serait temps et surtout utile que les décideurs politiques et leurs conseillers se tiennent informés des avancées de la science.

Pour la grive litorne non seulement le réchauffement climatique lui permet de rester en hiver plus au nord comme en Pologne mais de plus ce pays est devenu récemment le premier producteur de pommes de l’Europe avec 25% de la production et 170 000 ha de vergers. Donc il n’est pas étonnant que les effectifs en hivernage en France de grive litorne diminuent.

Certaines FDC notamment au sud ont instauré à juste titre un PMA journalier pour les Turdidés depuis plusieurs années. Si cette mesure règlementaire était adoptée au niveau national, il conviendrait donc aussi comme pour toutes les espèces d’oiseaux migrateurs chassables que les autres pays européens fassent de même puisqu’il s’agit d’un patrimoine européen qu’il convient de gérer équitablement.


  1. Association Nationale de Défense des Chasses Traditionnelles à la Grive ↩︎

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3 commentaires sur « Les oiseaux migrateurs chassables : un patrimoine européen »

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