En étudiant la chasse, Charles Stépanoff aborde un sujet clivant. Il est bien qu’un universitaire chercheur s’intéresse à notre passion. Une lecture critique de son ouvrage est néanmoins indispensable tant sa vison de la chasse française est surprenante et encombrée de stéréotypes et de clichés.
Une vision manichéenne de la chasse française

Le livre est incontestablement intéressant mais tout vrai connaisseur de la chasse française ne pourra s’empêcher d’émettre des réserves quant à certaines thèses développées par l’auteur. Dans une interview au journal local Le Perche, il présente son ouvrage et le moins que l’on puisse dire est que nous ne partageons pas un bon nombre des ses affirmations qui semblent reposer sur une vision fantasmée d’une certaine chasse dite « paysanne » et sur sa réprobation d’une chasse qu’il qualifie de « bourgeoise ».
Opposer la figure mythifiée d’un chasseur paysan qui ne chasse que pour se nourrir au chasseur citadin pour qui il s’agit d’un loisir est réducteur, voire inexact. Les deux font de cette pratique une passion et parfois un mode de vie. Leur rapport à l’animal chassé est le même. Mélange d’empathie, de connaissance parfois intime (« tiens, regarde, c’est le grand cerf du bois noir, tu sais, celui qui commence à ravaler… ») et de l’instinct de prédation. Ils ne sont pas opposés mais complémentaires et font des chasseurs française un groupe divers et riche.
Beaucoup d’entre nous ont été initiés à telle ou telle chasse par quelqu’un que nous n’aurions jamais rencontré si ce n’est par la chasse. Cette personne qui savait tout sur la bécasse, le chamois, les chiens ou la forêt. La chasse permet ces rencontres, ces amitiés, ces initiations. Elle est bien plus un facteur de brassage social que ne le croit l’auteur du livre.
Charles Stépanoff semble ignorer l’existence des sociétés de chasse communales ou des ACCA dans lesquelles la mixité sociale est de mise. Et dans lesquelles se pratiquent avec bonheur (le plus souvent) toutes les formes de chasse : petit et grand gibier, approche, battue, chasse au chien d’arrêt, passée à la grive ou aux canards…
Opposer chasse paysanne et chasse loisir est erroné
Selon Charles Stépanoff, la chasse « bourgeoise » ou chasse « business », affirmée par le lien entre droit de propriété et droit de chasse s’oppose à la chasse « noble » (la vénerie) et à la chasse paysanne toutes deux « fondées sur l’idée de droits d’usage ouverts et de libre circulation des animaux. » La longue fréquentation des peuples autochtones de Sibérie et des grands espaces a dû faire croire à monsieur Stépanoff que les modes de chasse de ces régions lointaines pouvaient servir de mètre étalon pour une définition de LA chasse. Mais la France n’est pas la Sibérie ; le droit de chasse est lié au droit de propriété. Oui, certains propriétaires ont des gardes. Mais ceux-ci ne servent pas qu’à faire fuir les importuns. Ils sont d’abord et avant tout chargés de gérer l’endroit. Oui, il existe des propriétés clôturées mais elles sont heureusement minoritaires. De surcroit, il n’ y a pas que les « grands propriétaires terriens » qui s’entourent de grillages. Les agriculteurs en implantent pour protéger leurs cultures, la SNCF et les sociétés d’autoroute le font pour protéger leurs infrastructures, le propriétaire de résidence secondaire pour « être chez lui »…
A l’inverse, le chasseur français est favorable à la libre circulation de la faune. Il sait que c’est même la condition sine qua none du bon état génétique des animaux. Quant à l’appellation « chasse business », elle peut éventuellement s’appliquer aux chasses commerciales mais l’immense majorité des territoires chassés en France ne peut être qualifiée ainsi.
Des affirmations surprenantes pour un chercheur
Il est surprenant de constater que Charles Stépanoff essaie de compartimenter les chasseurs et de les classer en différentes espèces. Une sorte de taxonomie du chasseur français. Le chasseur bourgeois qui chasse le grand gibier par loisir, le veneur aristocrate qui perpétue, le chasseur paysan qui chasse pour se nourrir, etc, etc… C’est peut-être une déformation professionnelle ; l’anthropologue aime bien les classifications. Mais cela conduit à des raccourcis surprenants, parfois à des contresens et à des erreurs. En tout cas à des généralités qui sont loin de la réalité et de la diversité de la chasse française.
Le mythe du « chasseur paysan » qui chasse pour se nourrir…
« Je me suis rendu compte que cette vision est historiquement construite par les élites bourgeoises et qu’elle est éloignée des conceptions paysannes qui valorisent la production de viande. Chez nous des chasseurs et leurs familles se nourrissent de gibier une bonne partie de l’année. » J’aimerais savoir combien de famille se nourrissent principalement de gibier tout au long de l’année. Que ce soit un complément, c’est possible, c’est même souhaitable, compte tenu de l’excellente qualité nutritionnelle de la venaison mais c’est certainement plus un plaisir gustatif occasionnel qu’une alimentation quotidienne.
Les « tensions » entre les différents chasseurs.

Charles Stépanoff entreprend aussi de démontrer que des querelles existeraient entre les différentes catégories de chasseurs. « Il y a de fortes tensions entre ces différentes cultures de la chasse. Les agriculteurs amateurs de petit gibier considèrent que les propriétaires forestiers font des élevages de sangliers qui dévastent leurs cultures. » Selon lui, l’agriculteur ne chasse et ne consomme que du petit gibier alors que le propriétaire forestier élève et chasse le grand gibier pour le plaisir.
Vision manichéenne et éronnée. Nous connaissons tous des agriculteurs passionnées de chasse au grand gibier et des « bourgeois » qui ne jurent que par la bécasse ou le canard à la passée du soir. Il peut exister ici ou là des tensions entre différentes sociétés de chasse mais ce sont le plus souvent des querelles de clochemerle. Ce ne sont pas des tensions qui viendraient de conceptions différentes de la chasse. Les uns lâchent leurs chiens un peu trop près du territoire des autres ; l’approche est mal vue par les passionnés des grands courants ; on ne laisse pas assez de place aux chasseurs à l’arc, etc, etc…
Ces approximations sont surprenantes de la part d’un chercheur. Cette description caricaturale et erronée des chasseurs qui est la base de l’ouvrage pourrait discréditer le reste. Cette vision des rapports entre les différents chasseurs est un peu trop vue au prisme de la lutte des classes. Le petit paysan opposé au grand propriétaire terrien… On croirait lire le livre de Bernard Lambert – Les paysans dans la lutte des classes.
L’auteur nous livre aussi son explication de la baisse du nombre de chasseurs.
« Les raisons sont l’effondrement du petit gibier qui fait que le sens même de la chasse a disparu pour beaucoup de gens et un désaccord avec les transformations de la pratique. » Oui, l’effondrement des populations de petit gibier est un problème pour la chasse française. C’est une chasse qui procure énormément de plaisir. Elle offre de vrais moments de complicité avec son chien, elle permet aussi de faire partager notre passion plus facilement que la chasse au grand gibier. Mais peut-on vraiment lier la baisse du nombre de chasseurs à la baisse du petit gibier et à un désaccord avec la transformation de la chasse qui en découle ?
Ne pourrait-on pas plutôt y voir une effet des modifications de notre société qui s’urbanise et s’artificialise de plus en plus ? Le fait que plus de 80% de la population soit urbaine ne joue-t-il pas un rôle ? Le fait que moins d’agriculteurs soient chasseurs n’est-il pas dû à la transformation du métier plus qu’à la disparition du petit gibier ? De surcroit, une grande majorité des chasseurs n’est pas liée à une pratique unique de la chasse.
On peut chasser le petit comme le grand avec autant de plaisir. Une approche au brocard d’été est aussi enthousiasmante qu’un bel arrêt sur bécasse. Une menée de grands courants dans la forêt fait autant monter le rythme cardiaque que le froissement des ailes de canards le soir au bord d’un étang.
Une vision passéiste de la paysannerie française.
Stépanoff semble être resté sur une image de la paysannerie française des années 50. J’en veux pour preuve cette autre phrase toujours tirée de son interview au journal Le Perche : « A la différence de la chasse hors-sol pratiquée par les urbains, la chasse qu’on peut appeler « terrestre » s’insère dans un ensemble de pratiques vivrières comme la production du bois de feu, la production du cidre et du calva, le potager, l’élevage familial de volaille et d’ovins. » Où peut-on encore trouver des paysans qui vivent et travaillent comme cela ? On se croirait dans le superbe reportage de Raymond Depardon (Profils paysans) sur un monde qui avait déjà presque disparu dans les années 90. Le paysan d’aujourd’hui est plus agriculteur, voire exploitant agricole que ce que Charles Stépanoff ne veut le voir. Le temps du « petit paysan » qui cultive son lopin et chasse pour se nourrir est (hélas ?) révolu.
Cette analyse critique ne doit néanmoins pas empêcher les chasseurs d’acheter et de lire le livre de Charles Stépanoff – L’animal et la mort. Ils y trouveront matière à réflexion et de belles phrase comme celle-ci : « La chasse familiale est un des rares moments où des connaissances intimes des lieux et de leurs habitants non humains sont transmises des anciens aux jeunes générations. » Evidemment, « habitants non-humains » pourrait avantageusement être remplacé par « animaux ». Cela sent un peu trop le vocabulaire antispéciste si tendance dans un certain milieu universitaire.
Bref, un livre à lire avec intérêt et regard critique.
En savoir plus sur Chroniques cynégétiques
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Merci pour ce regard critique, je suis en effet surpris des commentaires dithyrambiques sans aucune réserve, même et surtout dans le milieu de la chasse…Cette parution est à replacer dans son contexte politique social et « sanitaire »… des chasseurs trop heureux de voir un universitaire anti chasse de son propre aveu devenu non pro chasse mais « compréhensif » vis à vis des chasseurs, au grand dam des anti anti chasse et autres animalités qui crient à la trahison… Il n’en faut pas plus pour ne pas tarir d’éloges même dans certaines recensions…
outre son caractère marxisant (EHESS, il faut préciser…) je trouve que c’est un livre « paresseux. » l’auteur calque un peu trop facilement ses études sibériennes en poussant les analogies parfois jusqu’à le quasi absurde. il recase ses concepts sans saisir les subtilités et la complexité de la chasse française vue comme une poursuite de la lutte des classes/des chasses.
penser le monde rural comme celui des années 50 m’amène même à douter de la durée et de l’intensité de ses visites sur le terrain comme observateur…
néanmoins la première partie sur le rapport à la mort (abattoirs) l’animal « enfant » et les causes de certaines quasi disparitions sont intéressantes et bien écrites.
cet ouvrage mérite d’être lu mais critique et avec une critique qui devrait venir du monde cynégétique…
J’aimeAimé par 1 personne
Bonjour, merci de votre commentaire. En effet, j’ai été stupéfait de constater l’accueil favorable que le monde de la chasse a réservé à cet ouvrage. Ceci est révélateur d’une perte d’influence et d’une baisse de culture des chasseurs. Il fut un temps où ceux-ci écrivaient et où ils értaient lus et écoutés. Ces temps sont hélas révolus. Les chasseurs ne sont d’ailleurs pas les seuls à voir baisser leur influence et leur présence dans le monde culturel.
Résultat, peu de choses sont écrites et publiées à propos de la chasse aujourd’hui et, quand un universitaire le fait, tout le monde se félicite sans chercher à approfondir. Une demi bonne nouvelle est mieux que pas de nouvelle du tout.
La méconnaissance de la chasse française dont fait preuve l’auteur n’a été notée par personne et le livre a même reçu le prix de la fondation François Sommer. J’étais abasourdi ! D’autant plus que son approche marxiste aurait normalement dû faire bondir le petit monde des chassseurs parisiens chics. A croire qu’ils ne l’ont pas lu.
Quant au portrait qu’il fait des paysans, c’est surprenant, comme vous le dites, on se croirait dans les années 50…
Le livre doit être lu mais avec une lecture critique ; ce que je crois avoir été le seul à avoir fait dans le monde cynégétique. C’est dommage.
J’aimeJ’aime