La création d’une liste « rurale » pour les prochaines élections européennes est maintenant officielle. Ses promoteurs sont optimistes et s’inspirent des succès de CPNT en son temps et de ceux, plus récents, du BBB (BoerBurgerBeweging, mouvement agriculteur–citoyen) aux Pays-Bas.

Attention, comparaison n’est pas raison.

Penser que les scores de CPNT il ya 30 ans et ceux du BBB aux Pays-Bas plus récemment peuvent être ceux de la liste rurale aujourd’hui est très (trop ?) optimiste. Pour CPNT, il s’agit de deux époques différentes et pour le BBB, d’une situation qui n’a strictement rien à voir avec celle de la France.

Les succès de CPNT

Les succès de CPNT sont dûs à un certain nombre de facteurs qui ne sont pas réunis aujourd’hui. CPNT est né en réaction aux premières attaques que subissait la chasse. Dans les années 80, la chasse était encore celle de Pagnol et de Genevoix et ne posait de problème à personne. Tout d’un coup les chasseurs ont du subir l’arrivée des écologistes dans le jeu politique et les premières mesures restrictives issues de l’Union européenne. Ils n’étaient pas prêts et la réaction fut immédiate et épidermique : on ne touche pas à la chasse !

Il faut aussi prendre en compte qu’à l’époque, l’échiquier politique était « classique », bloc de droite contre bloc de gauche. CPNT a permis de capter un électorat contestataire.

Il faut aussi noter que l’électorat de CPNT était principalement constitué par les chasseurs de gibier d’eau de l’Ouest de la France1 car leur chasse était dans le collimateur de Bruxelles et des écologistes. La carte2 ci-dessous montre le vote CPNT aux européennes de 1999 ; les gros bataillons sont bien situés dans l’ouest de la France, chez les sauvaginiers.

La situation d’aujourd’hui est bien différente.

Trente ans après, les chasseurs ont pris l’habitude de ces attaques. Les diverses manifestations de défense la chasse montrent bien une certaine lassitude ; elles n’arrivent à mobiliser que 40 000 chasseurs quand celle de 1998 à Paris en avait réuni plus de 150 000.

On peut aussi se demander si les chasseurs de gibier d’eau se rangeront sous la bannière de Willy Schraen. Les relations entre le président de la FNC et les sauvaginiers ne sont pas cordiales ; ces derniers accusant la FNC et son président de les sacrifier ou tout au moins de ne pas assez défendre cette chasse. Ce sont des voix qui risquent de manquer à l’appel.

Aujourd’hui, l’échiquier politique est bien différent d’il y a trente ans. Nous avons trois grands blocs dont deux captent déjà l’électorat mécontent. La liste rurale n’aura donc pas le monopole de la contestation à l’ordre établi.

De surcroit, les problèmes actuels de la France ne sont pas ceux de 1999. Les français constatent tous les jours le délitement de nos institutions et la situation catastrophique du pays. Nos villes et maintenant nos villages sont soumis à une délinquance de plus en plus violente, notre industrie, notre agriculture, notre système éducatif, notre système de santé sont sinistrés, notre indépendance énergétique est menacée, nous n’avons plus aucun crédit sur la scène internationale, la dette est abyssale, nos frontières sont des passoires, etc, etc…

On peut se demander si la défense de la côte de boeuf doit être jugée plus importante que le reste. Les électeurs risquent en tout cas de se poser la question…

Il semble que que le premier sondage réalisé confirme cette hypothèse puisqu’il place la liste rurale en dernière position, derrière le parti animaliste.

Le BBB aux Pays-Bas

Quant au succès récent du BBB aux élections régionales aux Pays-Bas, il est principalement dû aux mesures drastiques que le gouvernement hollandais envisageait pour réduire les émissions d’azote de 50% d’ici 2030. Ce plan envisageait une réduction globale du cheptel d’élevage de 30%, le rachat de nombreuses fermes considérées polluantes et la cessation de la plupart des activités agricoles à proximité des zones protégées Natura 2000. Ces mesures extrêmes pouvaient s’accompagner de rachats autoritaires d’exploitations sans l’assentiment des propriétaires. Le BBB a exploité habilement le choc créé par l’annonce de ces mesures pour remporter une victoire inattendue aux élections régionales. Il faut quand même noter que le succès aux régionales n’a pas été confirmé aux législatives de novembre puisque le BBB ne remporte que 7 sièges de députés sur les 346 que compte la chambre des représentants.

Or, rien de tel n’est actuellement envisagé en France. La grogne des hollandais et le succès du BBB ne semblent donc pas transposables.

Quelle ligne politique ?

Pour le moment la ligne politique de la liste rurale se résume aux déclarations de Willy Schraen :

« Est-ce que demain on pourra encore mettre un ver de terre sur un hameçon à la pêche ? Je n’en suis pas sûr. Est-ce qu’on mangera encore une côte de bœuf sur un barbecue ? Je n’en suis pas sûr. »

Il faut souhaiter que cela s’étoffe un peu… Hélas, la conférence de presse de lancement de la liste n’a pas été programmatique, c’est le moins que l’on puisse dire. Les différents intervenants n’ont pas marqué par leur vision politique. Répéter que l’Alliance rurale est « apolitique » est d’ailleurs un mauvais signal. Xavier Patier, haut fonctionnaire et essayiste3 déplore que « la société manque de grandes voix capables de structurer la réflexion politique populaire ». Où est la grande voix de la ruralité ?

Les attaques que subit la ruralité sont politiques ; il faut que sa défense le soit aussi. La critique du système ne suffit pas, il faut en proposer un meilleur. La ruralité est une des formes de notre identité. Défendre l’une sans défendre l’autre ne peut qu’être vain.


Sources :

  1. Jean Vigreux. Le vote CPNT (1989-2002) : la chasse, du loisir à la politisation. Territoires contemporains, 2008, 1, http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/autreslieux/J_Vigreux.htm. halshs- 01395424  ↩︎
  2. Ecologistes des villes et écologistes des champs : analyse spatiale de l’implantation en France des partis écologistes et «Chasse Pêche Nature et Traditions» ↩︎
  3. La confiance se fabrique-t-elle ? Essai sur la mort des élites républicaines, de Xavier Patier ÉditionsArtège ↩︎

3 commentaires sur « Alliance rurale, trop d’optimisme, pas assez de programme »

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