Article écrit par Vincent Prétot ; lui et son frère Fabien sont des chasseurs suisses émérites et photographes de talent. Leur compte Instagram est à suivre : Pretothunting

Quand on pense à la Suisse, on ne pense pas forcément tout de suite à la chasse. On a plutôt en tête les clichés habituels, banques, fromages, chocolat, alpages verdoyants et bien sûr le Yodel !

Ce petit pays est fait de mélanges et de particularités. Quatre langues, deux chaines de montagnes et 26 cantons. Toutes ces différences sont de nombreux éléments pouvant créer des dissonances entre les citoyens et les cantons. Pour éviter cela, la Confédération à trouvé la solution : la souveraineté des cantons.

La Confédération définit une constitution fédérale et les cantons sont compétents pour les missions qui ne sont pas explicitement attribuées à la Confédération.  Ce qui permet de respecter les spécificités régionales tout en ayant un système correspondant aux exigences fédérales.

Pour la chasse, la Suisse applique les mêmes principes.

La chasse en Suisse 

Le droit Suisse définit au niveau fédéral une loi commune à tous les cantons que ceux-ci doivent suivre qui s’appelle loi sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages1. Elle définit les espèces chassables ou protégées, les armes et méthodes légales, les périodes de protection, les impératifs sur le suivi des populations, etc… 

Et les cantons, eux, mettent en place une loi cantonale, plus restrictive que la loi fédérale. Cette loi cantonale définit des spécificités locales sur le calibre utilisable, le nombre de cartouches autorisées dans le chargeur, les distances de tir, l’utilisation des chiens, etc, etc. En complément de cette loi cantonale est édicté un arrêté cantonal, qui permet de légiférer sur des points susceptibles d’évoluer sans que l’on ait besoin de changer la loi, comme les jours d’ouverture, les heures de chasse, les prescriptions concernant la présentation du gibier tué… On trouvera en bas de cet aricle un document intéressant à télécharger résumant toutes ces informations : La chasse en Suisse est naturelle et nécessaire. Il est publié par la fédération de chasse suisse.

Photo par @Pretothunting

Avec ces possibilités d’adaptation aux cultures locales sont nés deux systèmes de chasse, la chasse à patente et la chasse affermée.

La chasse à la patente

La chasse à patente est pratiquée dans 16 cantons. Elle donne le droit de chasser sur tout le territoire cantonal en dehors des réserves. Le chasseur se voit délivrer une autorisation de chasser moyennant un émolument défini par le canton. 

Le chasseur reçoit ensuite des bracelets pour les espèces chassables dont le nombre est limité : cerf, chevreuil, chamois, lièvre, petit coq, etc. Ces bracelets représentent son quota personnel de chasse. 

La chasse affermée

La chasse affermée donne le droit de chasser à un groupe de personnes pour une période définie, le plus souvent 8 ans, sur une commune. À la fin de la saison, les chasseurs annoncent au canton combien d’animaux de chaque espèce ont été tirés. 

Le cas de Genève

La Suisse étant une démocratie directe, le peuple à la possibilité d’exercer directement le pouvoir grâce à des initiatives populaires. C’est ainsi qu’en 1974, dans le canton de Genève, le peuple récolta suffisemment de signatures pour proposer une modification de la loi cantonale afin d’interdire la pratique de la chasse dans le canton. Le peuple du bout du lac Léman fut invité aux urnes et se prononça en faveur d’une interdiction. Il faut noter que la participation fut extrêmement faible, ce qui démontre que des groupes motivés sont toujours plus efficaces que la majorité silencieuse. Depuis, la chasse populaire est interdite et la gestion du gibier est effectuée par des gardes professionnels. 

Mais comment un chasseur peut-il s’y retrouver dans ce mélange de lois, de régimes et de spécificités cantonales ?

Une seule solution, une formation excigeante !

La formation du chasseur suisse 

La formation des chasseurs suisse est une des plus exigeantes d’Europe. Un livre nommé « Chasser en Suisse, sur la voie du permis de chasse » présente au travers de ces 368 pages toutes les connaissances exigées au niveau fédéral pour avoir le droit de chasser.

Fédéralisme et souveraineté obligent, chaque canton dispense la formation aux chasseurs souhaitant chasser dans son canton. La formation du canton de Neuchâtel dure 160 heures, réparties sur une année abordant pratique et théorie. Le permis valaisan s’étire lui sur deux ans. La formation est similaire, les différences sont principalement dues aux lois cantonales de chasse et aux pratiques locales. 

Photo par @Pretothunting

La formation est sanctionnée par de nombreux examens théoriques et pratiques. On va tester la connaissance sur les armes, les mammifères, les espèces d’oiseaux et la flore. On questionne aussi sur les maladies du gibier, l’écologie, l’éthique de la chasse2. Les examens pratiques sont particulièrement difficiles. On va tester l’aptitude au tir, à la sécurité lors de la manipulation de l’arme, lors de passages d’obstacles, par exemple. On fait tirer des plateaux au fusil et on juge le tir à balle sur cible. Dans le canton de Fribourg (le canton du gruyère !) on va mettre les candidats chasseurs en condition de chasse, les mener le long d’un chemin de montagne, faire travailler un peu leur cardio avant de demander le tir sur une cible à 200m. Un beau défi pour un apprenti !

La formation est dispensée par les fédérations de chasse et les examens sont organisés par les cantons. Une fois son permis réussi, le nouveau chasseur peut alors demander une patente de chasse ou rejoindre un groupe de chasse affermée en fonction du canton où il réside. 

La souverainteté

Mais comment faire pour que tout le monde ne chasse pas au même endroit ? 

Comme chaque canton définit ses lois cantonales, il peut tout à fait ne pas reconnaître le permis des chasseurs ayant passé le permis dans un autre canton, ou majorer les prix pour les « étrangers », voir interdire la chasse aux chasseurs domiciliés en dehors du canton.

Ainsi le canton du Valais, un magnifique canton alpin, ou le gibier abonde, ne reconnait que le permis des chasseurs ayant passé le permis en Valais, limitant ainsi le nombre de Nemrods dans les montagnes où de nombreux chasseurs locaux sont déjà présents. 

A l’inverse, un chasseur du canton de Vaud peut venir chasser dans le canton de Neuchâtel mais il paiera le double du prix pour son permis par rapport à un neuchâtelois chassant le même territoire. 

Chasseurs et gibiers, quelques chiffres

Sur l’ensemble du territoire Suisse, on dénombre 30 522 chasseurs titulaires d’un permis, ce qui représente 0.35% de la population. En comparaison, la France compte 1.4% de chasseurs, l’Allemagne 0.45%. 

Chaque année ces chasseurs prélèvent majoritairement des sangliers (15’728), des chevreuils (43’418) et des cerfs (13’199). Les chasses les plus pratiquées sont la chasse à l’approche, à l’affût et en battue. On chasse également au chien d’arrêt le petit gibier dont le petit coq (387) et le lagopède (324). On trouve de belles populations de chamois (10’478 tirés) dans les Alpes et  dans le Jura ainsi que des bouquetins de l’arc alpin (981 tirés), dont la chasse est très réglementée par les cantons, ce qui donne de très bons résultats. Le mouflon se trouve en petite quantité à cheval sur la frontière franco-suisse dans la région de Val d’Illiez mais ils ne sont pas chassables. Les tableaux annuels3 sont publiés par la Confédération.

Les grands prédateurs

Le loup et le lynx se développent très bien sur la majorité du territoire même s’ils boudent un peu la zone de plaine. La chasse du loup se précise et un projet de modification de la loi fédérale sur la chasse est en cours de discussion, comme pour le bouquetin et le castor. 

Le sujet du lynx quant à lui, n’occasionnant que très peu voire pas de dommage à l’agriculture, semble plus difficile à empoigner par les autorités car le sujet est très sensible, malgré les baisses de populations de gibier marquées dans certaines de ses aires de répartition. 

Éthique et rigueur

Les chasseurs peuvent chasser librement tant qu’ils restent dans les limites de la loi et gardent un comportement adapté. Toute personne ne respectant pas ces prérogatives met en danger la pratique des autres chasseurs et la pérennité de la chasse en Suisse. Prenons un exempe récent pour illustrer ce propos. Un cas d’alcool à la chasse a été relevé il y a 5 ans dans le canton de Neuchâtel, à la suite d’un échange de propos « musclés » entre un chasseur et un vététiste. Le cas a été jugé, médiatisé et des questions sont remontées sur la pratique de la chasse sous l’emprise de l’alcool. Les clichés ont la peau dure ! Depuis la saison 2023-2024, une loi limitant le taux d’alcool à 0,5 gr a été mise en place au niveau cantonal et des contrôles sont effectués. L’action d’un individu isolé à porté préjudice à l’ensemble des pratiquants, malgré une attitude très majoritairement exemplaire. 

Cette rigidité très helvétique a ses avantages ; cela fait plusieurs dizaines d’années que la Suisse n’a pas compté d’accident grave.

La longue formation de chasse en Suisse et sa complexité ont pour avantage de produire des chasseurs de qualité, passionnés et appliqués. Le système est élitiste d’un point de vue technique et garantit une sécurité et une application des règles pour le bien de tous. En contrepartie, le nombre de chasseur est faible et donc il est rapidement possible qu’un parti politique ou qu’une association nous mette sous pression. Ceci demande beaucoup d’attention de la part des fédérations cantonales de chasse qui sont majoritairement bénévoles. Cela oblige aussi les chasseurs à s’investir durant la chasse et en dehors pour garantir la pérennité de la pratique, au travers de plantation de haies, de création de biotopes, de rencontres politiques et autres initiatives au sein de groupes d’actions. Un travail de titan, mais qui en vaut la peine !


Sources :

  1. Loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages ↩︎
  2. C’est une formation qui rapelle celle du brevet grand gibier français mais elle concerne l’ensemble des gibiers chassables en Suisse (NDLR) ↩︎
  3. Les tableaux de chasse annuels au niveau fédéral ↩︎

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4 commentaires sur « La chasse en Suisse »

  1. C’est visiblement encore plus complexe qu’en Allemagne. Ayant passé le permis allemand plus le brevet grand gibier en France. Et malgré cet encadrement ils ont aussi des antis chasse assez virulent.
    Le cas de Genève est un non sens total, ils payent des agents pour faire l’abattage, de nuit.

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    1. Ce qui prouve que rendre le permis plus sélectif et réduire ainsi le nombre de chasseurs n’arrête pas nos opposants. Ils veulent la mort complète de notre passion et du mode de vie qui y est associé.
      C’est pour cela qu’il ne faut rien céder. Chaque pas en arrière est irréversible et est une victoire pour eux.

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  2. Je chasse en Alsace à côté de la frontière Suisse, le moins que l’on puisse dire c’est que nos voisins du canton du Jura ont du mal à respecter les frontières nationales, entre les tirs sur gibier depuis la Suisse vers la France ou le lâcher de chiens en France vers la Suisse… Oui le permis de chasser en Suisse est exigeant et c’est tant mieux, mais ce que les chasseurs en font ensuite reste discutable, pour l’éthique on repassera…

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